Naguère clé de voûte du plein emploi, l'État protecteur devient lui-même suspect d'entretenir un chômage endémique. Derrière la nouvelle pauvreté qui frappe la France, au même titre que l'Angleterre ou les États-Unis, il y a la naissance d'un chômage de longue durée, décuplé en dix ans.

Double Crise

La crise de la solidarité nationale se conjugue ainsi avec une crise de légitimité de l'État. Glissement logique, celui-ci étant l'incarnation et le bras séculier de celle-là. 1984 a vu s'épanouir en France ce que Jean-François Revel, dans un livre à succès, paru à la fin de l'année, a nommé le Rejet de l'État. La critique de l'étatisme est devenue le cheval de bataille d'une opposition qui a le vent en poupe. La victoire des partisans de l'école privée a été acquise sur le thème du refus de l'« école étatisée ». Cela au moment où les intellectuels de l'opposition remettaient à l'honneur un théoricien octogénaire, Friedrich Hayeck, défenseur de l'État minimum et pape du libéralisme économique maximum.

Une vague à ce point déferlante qu'elle submerge, politiquement et culturellement, une partie de la gauche gouvernante. Dans son discours d'intronisation devant l'Assemblée nationale, Laurent Fabius devait souligner les limites du « tout à l'État ». De l'État providence à l'État patron, la crise de la solidarité nationale atteint l'État dans tous ses états.

Henri Gibier

École : la liberté confisquée

Guerre et paix. 1984 a tranché l'alternative posée l'année précédente. Ce ne fut pas la guerre ou la paix, mais l'une puis l'autre. Le grand débat sur l'école privée, c'est-à-dire sur ses rapports avec l'État, sur sa place dans la nation, a conduit le pays aux lisières d'un affrontement.

Si l'on voulait résumer l'année de l'école privée d'une autre formule, celle de la « liberté confisquée » conviendrait aussi. Avec toute son ambiguïté. Liberté des établissements scolaires privés qui fut en péril de mort, parce que le gouvernement de gauche tentait de faire main basse sur eux : ce sentiment se développa avec tant de vigueur que la droite politique eut à peine besoin de souffler sur la braise, bien qu'elle ne s'en privât point. Si bien que la gauche se vit dépossédée de l'une de ses valeurs historiques, fondatrices : la liberté, confisquée opportunément par la droite pour servir de thème formidablement mobilisateur.

Rapprochement

Le débat sur l'école privée n'a cessé en effet de se déployer dans l'équivoque. Le projet de loi, dit projet Savary, tournait le dos à la thèse du séparatisme, chère à de nombreux laïques et illustrée par le slogan : « les fonds publics à l'école publique, les fonds privés à l'école privée ». Le président de la République, le gouvernement, Alain Savary, ministre de l'Éducation nationale et artisan de toutes les discussions préparatoires avec les différents partenaires, avaient préféré la voie du rapprochement des deux secteurs du système scolaire.

Pour la première fois en France, la gauche donnait un statut à l'enseignement privé, et reconnaissait son droit à recevoir une aide publique. Ses amis politiques avaient, en 1960, au lendemain du vote de la loi Debré (31 décembre 1959), fait le serment appuyé par près de onze millions de signatures d'abolir cette loi « antilaïque ». Or le texte qu'elle soumettait aux députés à la session de printemps se plaçait au contraire dans la logique de cette loi, fondée sur la notion de contrats entre les établissements privés et la puissance publique. Les plus mécontents auraient pu être les militants, souvent membres ou même secrétaires de section du parti socialiste, souvent aussi enseignants, attachés à la conception traditionnelle (séparatiste) de la laïcité. Ils ne s'en privèrent pas. Mais la guerre prit véritablement naissance là où on l'attendait : à droite. Encore faudrait-il immédiatement préciser que l'opposition politique joua plus un rôle d'amplification, d'exploitation, de récupération, que de déclenchement. Elle tira sa force tout à la fois de la faiblesse de la gauche, et de la vivacité des convictions chez les tenants de l'école privée. Et la gauche mordit la poussière.