Michel Rouzé

La science et le fœtus humain

Les progrès de la biologie et de la chirurgie créent autour du fœtus humain des problèmes juridiques et éthiques nouveaux. Plusieurs cas dramatiques ou simplement embarrassants mettent en lumière la nécessité de ne plus laisser la décision au seul libre choix des médecins ou des familles.

Les techniques de diagnostic intra-utérin — amniocentèse, échographie, prélèvement du sang du fœtus dans le cordon ombilical — permettent de déceler éventuellement des malformations, des anomalies telles que le mongolisme ou des atteintes par des agents infectieux comme la rubéole ou la toxoplasmose. Dans beaucoup de ces cas, un diagnostic prénatal ne découvrant pas d'incitations éventuelles à une interruption de grossesse peut avoir pour effet d'éviter des avortements à l'aveuglette pratiqués à titre préventif. Mais certains de ces examens recourent à des technologies rares et coûteuses. Il n'est pas possible — à moins de faire supporter à la collectivité une charge économique intolérable — de satisfaire toutes les demandes. En cas de refus du médecin (ou d'une erreur de diagnostic) et d'une naissance anormale, le médecin ne risque-t-il pas de se voir poursuivi par la famille ? Le cas s'est présenté à plusieurs reprises aux États-Unis et pourrait se présenter ailleurs.

Les interventions médicales ou chirurgicales in utero (ou avec brève extraction et remise en place du fœtus) mettent directement en cause la double responsabilité du médecin et celle de la famille, vis-à-vis de l'enfant à naître et vis-à-vis de la société qui supportera la charge d'un infirme si l'intervention n'est pas pleinement efficace. Mais, si l'intervention réussit et aboutit à la venue au monde d'un enfant normal, la médecine fœtale — discipline nouvelle encore balbutiante — se trouvera justifiée d'aller plus avant. Une équipe du Colorado a connu cette chance en implantant dans le cerveau d'un fœtus de quatre mois atteint d'hydrocéphalie progressive un appareil minuscule muni d'une valve permettant l'écoulement dans le sac amniotique du liquide céphalo-rachidien sous pression. Il s'agit d'un succès jusqu'à présent unique. Par contre, la pose d'une sonde drainant l'urine vers le sac amniotique, chez des fœtus souffrant de malformations des voies urinaires, a été réalisée aux États-Unis par le professeur Harrisson et en France par les professeurs Dumez et Dellenbach. Un cas différent — unique lui aussi jusqu'à présent — est celui d'un enfant né à San Francisco d'une mère en coma dépassé (électroencéphalogramme plat) durant deux mois et maintenue en survie artificielle jusqu'à la naissance. Le risque médical pour l'enfant était considérable.

Les techniques d'insémination artificielle ne soulèvent pas moins de difficultés juridiques et morales. Se fondant sur la législation existante, des maris désavouent des enfants après avoir pourtant consenti à l'insémination artificielle de leur épouse. Autre cas de figure : celui des enfants nés par insémination artificielle avec du sperme congelé. Des maris devant subir un traitement qui les rendra stériles (notamment pour cancer du testicule) peuvent, préalablement, recourir à une banque du sperme qui conservera leurs capacités de procréation. Vingt enfants sont nés ainsi en France, dont un conçu avec du sperme congelé pendant sept ans. Mais des veuves se sont vu refuser le droit d'utiliser du sperme que leur mari défunt leur avait cependant légué : le Code civil français est ainsi fait que la présomption de paternité est écartée dès que l'enfant est né plus de trois cents jours après la dissolution du mariage...

Le droit du fœtus, jusqu'ici à peu près ignoré des législations, est la notion nouvelle qui émerge de telles situations. Mais il lui arrive aussi d'être invoqué pour justifier des préventions d'origine moins rationnelle. Au début de leur développement, les tissus de l'embryon ne possèdent pas encore de système de défense immunitaire ; on peut les greffer sur un organisme sans risque de rejet. Or, des enfants naissent parfois dépourvus de système immunitaire ; ils sont voués à la mort par infection dès les premiers mois de la vie, à moins (cela s'est vu) de grandir isolés du monde dans une bulle de plastique, en attendant une greffe problématique de tissus prélevés sur un donneur compatible. Ces enfants peuvent être traités par une greffe de cellules de foie ou de thymus prélevés sur un fœtus issu d'un avortement. Une telle pratique, qui ne se différencie guère des prélèvements d'organes sur des cadavres adultes, autorisés par la loi, a soulevé des oppositions violentes et même (notamment à Lyon) des actions judiciaires lancées contre des médecins qui sauvent des enfants.