Le débat sur le rapatriement et le renouvellement de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique (AANB), qui sert de Constitution au Canada depuis 1867, domine, en effet, par sa virulence et par le caractère d'urgence que lui impose le Premier ministre Pierre Elliott Trudeau.

Impasse

Aucun événement politique, cependant, ne fait oublier aux Canadiens les difficultés économiques auxquelles ils sont confrontés : hausses dramatiques et successives des taux d'intérêts, inflation, chômage et baisse de la devise canadienne. Problèmes qui se doublent, en outre, d'une rivalité entre Ottawa et les provinces de l'Ouest, productrices de pétrole et de gaz, au sujet du contrôle des ressources naturelles.

À la faveur de la victoire des fédéralistes lors du référendum québécois sur la souveraineté-association, Ottawa a relancé, le 21 mai 1980, les discussions fédérales-provinciales en vue du rapatriement et du renouvellement de la Constitution gardée à Londres (Journal de l'année 1979-80).

Le Premier ministre Trudeau délègue aussitôt son ministre de la Justice, Jean Chrétien, auprès de ses homologues provinciaux, afin d'obtenir un consensus sur la tenue d'une rencontre de négociations en septembre. Durant trois mois, en juin, juillet et août 1980, les consultations et les pourparlers préliminaires se poursuivent en vain entre le pouvoir central et les provinces.

Aucun accord n'est possible sur le rapatriement lui-même, la charte des droits fondamentaux et linguistiques, le partage des ressources naturelles, les pouvoirs économiques, les communications, le droit familial, la réforme du Sénat, les pêcheries et la composition de la Cour suprême.

Il est déjà prévisible, le 1er juillet, au moment où le Premier ministre Trudeau étrenne l'hymne national canadien, O Canada, que le projet de réforme de la Constitution aboutira à une impasse. Finalement, le 13 septembre 1980, les trois jours d'intenses négociations entre les Premiers ministres, à Ottawa, sont un lamentable échec.

Coup de force

Deux conceptions inconciliables du Canada s'opposent : celle du Premier ministre Trudeau, qui désire un gouvernement central fort garantissant la primauté de l'intérêt national, et celle de la majorité des chefs provinciaux, qui proposent une place plus grande pour les régions dans l'ensemble canadien.

Solidaires du Québec pour la première fois, les provinces redoutent une érosion de leurs pouvoirs législatifs, d'autant que le gouvernement Trudeau les menace de procéder unilatéralement au rapatriement de la Constitution, avec l'assentiment du Parlement britannique, seul habilité à la modifier.

Pierre Elliott Trudeau profite immédiatement du désaccord entre les provinces et le gouvernement fédéral pour appliquer la stratégie du coup de force, préparée secrètement depuis plusieurs semaines par ses conseillers. Il décide de convoquer le Parlement et de procéder au rapatriement de l'AANB sans le consentement des provinces.

Le chef de l'opposition conservatrice, Joe Clark, annonce le 17 septembre 1980 qu'il appuiera ce projet à condition que les provinces s'entendent sur une formule d'amendement de la Constitution. Celles-ci, appuyées, selon les sondages, par la majorité des Canadiens, préparent la contre-offensive à Londres et devant les tribunaux.

Rapatriement

Puis les événements se précipitent :

– Le 2 octobre, le Premier ministre Trudeau confirme aux Canadiens, à la télévision, qu'une motion demandant au Parlement britannique de renvoyer au Canada l'AANB, enrichi d'une charte des droits fondamentaux et linguistiques ainsi que d'une formule d'amendement, sera débattue à la Chambre des communes dans quatre jours ;

– Le 3, les provinces, furieuses, à l'exception de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick, forment un front commun afin d'empêcher l'aboutissement du projet Trudeau ;

– Le 6, le débat historique sur la Constitution prend son envol au Parlement canadien. Seul, le Nouveau Parti démocratique (NPD) se range du côté du gouvernement, mais à la condition que les provinces conservent la propriété des richesses naturelles. Le NPD tend ainsi à conserver sa base électorale dans les provinces de l'Ouest ;