Ce progrès est peut-être dû aux difficultés rencontrées dans le gisement préhistorique de Meer, dans le nord de la Belgique. Dans une couche de sable d'environ 30 cm, sans stratigraphie archéologique, se trouvaient dispersés des silex taillés et des éclats dont on ne pouvait dire précisément à quelle culture ils appartenaient. L'ensemble ne se rattachait à rien de connu, sinon, très grossièrement, à l'outillage des cultures dites épipaléolithiques, cultures qui ont suivi la fin de la grande glaciation.

Les fouilles dirigées par le professeur Francis Van Noten (musée royal d'Afrique centrale, Tervuren) ont permis d'étudier rigoureusement la répartition des objets. Plusieurs concentrations d'outils, fragments et éclats ont alors été distinguées, et l'on a pu remarquer — point important — que ces concentrations différaient les unes des autres, notamment par les proportions des diverses catégories d'outils. Ce qui, en bonne typologie préhistorique, aurait pu conduire à y voir le témoignage d'ensembles culturellement distincts.

Puzzle

À ce premier volet de l'étude vint s'en ajouter un deuxième : un long effort de remontage. Les outils, fragments et éclats sont en effet littéralement des pièces détachées. Bien des préhistoriens ont cherché depuis longtemps à reconstituer d'aussi près que possible les blocs d'où les pièces avaient été sorties. Ce puzzle en trois dimensions, fort difficile, est plus qu'un jeu. À Meer, il a permis à Daniel Cahen de prouver d'abord l'unité du site : des pièces issues d'un même bloc ayant été trouvées dans des concentrations différentes et à des hauteurs diverses dans la couche de sable. Ensuite, des biographies de blocs et d'outils ont pu être reconstituées, ce qui suggère une spécialisation des différentes zones.

Le troisième volet a consisté à étudier les traces d'usure des outils. Cette étude a été récemment perfectionnée par le préhistorien américain Lawrence Keeley, qui, en utilisant le microscope optique et après toute une série d'expérimentations et de comparaisons, est arrivé à distinguer les polis dus à divers travaux : travail du bois, du végétal, de l'os, de la viande (perforation ou rainurage dans le cas du travail sur l'os). L. Keeley étudia les pièces remontées de Meer. Il put ainsi préciser les spécialisations des diverses zones : en un endroit on avait raclé des peaux, en un autre on avait travaillé l'os et le bois de cerf. C'est l'organisation de la vie et de l'espace qui apparaissait.

Fonctionnelles

L'ensemble de ces recherches conduit à remettre quelque peu en question les conclusions que l'on tirait de l'analyse typologique des outils. D'une part, certaines différences entre les ensembles d'outils semblent bien être fonctionnelles et non culturelles (comme l'affirmait depuis longtemps, sans être suivi, l'Américain Lewis Binford) ; d'autre part, il est démontré que l'on utilisait bel et bien, pour un même travail, des outils assez différents. Les distinctions très fines établies dans les catégories d'outils seraient donc à interpréter autrement que par une différence de culture. Certaines divisions culturelles établies d'après la typologie pourraient être à revoir.

Ce qui se dessine enfin, c'est une approche nouvelle des sociétés préhistoriques : une approche véritablement ethnologique. On va commencer à savoir « comment ça marchait », en particulier grâce à une comparaison entre sites et entre cultures. L'étude comparative a déjà commencé entre le gisement belge et les grands sites magdaléniens de plein air, découverts et étudiés depuis quinze ans dans le Bassin parisien.

La France de Louis XIV contrôlait sa population

Il a longtemps été admis que les populations anciennes avaient un régime démographique naturel, contrôlé seulement par l'omniprésence de la mort. Cette idée ne peut plus se défendre lorsqu'on lit la thèse que l'historien démographe Jacques Dupâquier consacre à la population du Bassin parisien à l'époque de Louis XIV. Il s'est livré à une énorme étude de tout le matériel documentaire possible, en particulier les dénombrements et les rôles d'impôts, longuement soupesés et critiqués. Cette étude fait apparaître une grande stabilité de la population à long terme, mais aussi le fait que ce n'était pas un facteur économique — la production agricole — qui faisait barrage : de ce point de vue, le Bassin parisien aurait pu être beaucoup plus peuplé.