Sur le plan militaire, les troupes vietnamiennes se heurtent à quatre résistances concurrentes :
– les Khmers rouges : environ 25 000 hommes divisés en petits commandos, réfugiés dans les montagnes du Nord-Est et du Sud-Ouest ; ils font régner l'insécurité dans les provinces de Stung Treng, Ratanakiri, Mondulkiri, Koh Kong, Pursat et Battambang ;
– les Khmers serei, nationalistes, anciens soldats de Lon Nol ; ils recrutent leurs troupes parmi les réfugiés de Thaïlande ;
– le Front national de libération du peuple khmer, neutraliste, constitué par Son Sann, un ancien Premier ministre du prince Sihanouk ; il rassemble quelques milliers d'hommes mal armés et contrôle plusieurs villages dans les maquis du Sud-Ouest ;
– les Sihanoukistes, qui disputent aux Khmers rouges et aux Khmers serei le contrôle des camps de réfugiés en Thaïlande. Ex-chef de l'État, ex-allié des Khmers rouges dont il dénonce désormais les crimes, Sihanouk parcourt le monde depuis décembre 1979.

Impuissance

Pour Hanoi, Sihanouk ne représente plus rien, et il n'y a pas de problème politique au Cambodge. La présence vietnamienne est d'ailleurs provisoire : « Nous rentrerons chez nous quand les choses seront calmées », déclare Pham Van Dong en décembre 1979.

L'Assemblée générale de l'ONU condamne le Viêt-nam le 14 novembre précédent ; elle exige « le retrait immédiat de toutes les forces étrangères du Cambodge » et le règlement pacifique de la crise. Mais l'ONU, divisée par le conflit entre l'URSS et la Chine, est impuissante, en fait, à faire appliquer cette résolution.

La présence vietnamienne demeure, à l'heure actuelle, le seul obstacle au retour des Khmers rouges ; et ceux-ci multiplient d'ailleurs les initiatives pour isoler le Viêt-nam : tournées de ministres à travers le monde, renforcement de leur présence dans les organisations internationales (qu'ils négligeaient jusqu'alors) et surtout offensive du sourire en direction de tous les opposants au régime de Phnom Penh. Pol Pot annonce, en septembre 1979, la création d'un Front de grande union nationale contre le Viêt-nam et appelle toutes les forces politiques du Cambodge à s'y rallier. Les Khmers rouges abandonnent leur programme collectiviste et promettent, sans convaincre, de respecter toutes les libertés.

Un congrès du Front uni national du Kampuchea, réuni quelque part dans les maquis des Cardamomes, annonce, le 15 décembre, que Pol Pot, l'un des dirigeants les plus compromis dans le passé sanglant du Cambodge, s'efface au profit de Khieu Samphan, nommé président et Premier ministre. Mais Pol Pot demeure chef du parti et de l'armée. Le congrès suspend la constitution socialiste et se prononce pour l'organisation au Cambodge d'élections libres contrôlées par l'ONU. Mais cette offensive du sourire ne rencontre aucun écho. En dépit des pressions exercées par la Chine et la Thaïlande, les exilés refusent de s'allier aux Khmers rouges.

Exsangue

Au Cambodge, cependant, la situation demeure critique. Le pays, exsangue, ne parvient pas à se reconstruire : rizières, routes, barrages, voies ferrées n'existent plus ; dans les écoles, bien des enfants n'ont ni livres ni cahiers. Il n'y a que cinquante médecins khmers et quelques centaines de médecins ou d'infirmiers vietnamiens pour tout le pays. Sur le port de Kompong Som, les dockers sont soviétiques ; sur les 200 000 militaires du corps expéditionnaire envoyé par Hanoi, 100 000 sont engagés dans des tâches administratives à la place des fonctionnaires locaux morts ou disparus.

Un an après la prise de Phnom Penh, le pays continue à vivre partiellement sous une économie de troc ; la monnaie, le riel, supprimée par les Khmers rouges, réapparaît le 25 mars 1980, remplaçant peu à peu le bath thaïlandais, le dong vietnamien et la mesure de riz, jusqu'alors uniques moyens de paiement sur les marchés locaux.

L'exode de la population se poursuit. Des centaines de milliers de personnes parcourent le pays, à la recherche d'un foyer ou d'un village, fuyant les combats ou la famine, qui, à partir de l'été 1979, menace la vie de 2 millions de Khmers. Le Cambodge manque de riz. Sur 2,4 millions d'hectares de rizières, 700 000 ont été cultivés en 1979. Une partie de la récolte a été détruite.