Social

Dégradation et attentisme

Une détérioration évidente du climat social, symbolisée à la fois par l'importante grève générale du 24 mai 1977 et par des conflits dispersés qui n'arrivent pas à imposer les revendications prioritaires des syndicats : telle est la double caractéristique des relations sociales.

Pour la CGT et la CFDT, la marge de manœuvre est étroite ; pas question d'attendre passivement les législatives de mars 1978, mais pas question non plus de s'engager dans des grèves illimitées. Ainsi, avant comme après les municipales, la tactique syndicale est simple : harcèlement dans le secteur privé, coups de boutoir dans le secteur public. Avec un mélange d'espérance dans l'avenir et de craintes quant aux risques d'explosions et de débordements. Un petit Mai 68 que craignent les syndicats conviendrait trop bien à ceux qui misent sur la frayeur de l'opinion pour conserver en place la majorité actuelle.

Toutes les centrales ont à faire face, par ailleurs, aux séductions des partis (pas seulement de gauche) et aux luttes d'influences internes entre des courants divers.

Piège

Les élections législatives sont-elles un piège pour les syndicats ? Plus que jamais, la politique tente de s'infiltrer dans les coulisses des grandes centrales. Certes, à gauche, le débat est permanent, parfois dans les entreprises mêmes avec des tentatives pour tenir des meetings politiques, sur les rapports entre syndicats et partis. Mais plus insolite est la pénétration de la politique à la CGC, avec la constitution des GIR (Groupes initiatives et responsabilités) lancés par Michel Debatisse (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles), Yvan Charpentié (CGC). Léon Gingembre (Confédération générale des petites et moyennes entreprises), de Jacques Monnier (Confédération des syndicats médicaux) et Francis Combe (Assemblée permanente des Chambres de métiers), représentant divers milieux de classes moyennes. Que dire aussi de la sollicitude un peu maladroite du ministre du Travail se rendant au siège de la CFTC ? Tout en affirmant leur indépendance, les centrales syndicales se trouvent conduites à hausser le ton à l'égard du gouvernement. Certaines, comme la CFDT, définissent leur plateforme revendicative en cas de victoire de la gauche ; voulant se démarquer d'une CGT trop confiante à l'égard du PCF et du Programme commun, la CFDT ne veut pas que « une fois au pouvoir, la gauche politique trie comme elle l'entend dans le catalogue des revendications ».

Tensions internes

Mais, tout autant que la pression politique extérieure, les affrontements internes de tendances (ou de personnes) contribuent à influencer le climat social. À la CGT, où la campagne d'adhésion n'a pas eu les résultats souhaités, les fédérations (le Livre, les dockers) manifestent plus d'autonomie que ne le souhaitent les dirigeants confédéraux. La CFDT, de son côté, essaie de mettre au pas des gauchistes trop bruyants, sans pourtant exclure ceux qui acceptent les règles de la démocratie syndicale. À la CGC, Y. Charpentié doit compter avec la minorité de la Fédération des cadres de la métallurgie animée par Paul Marchelli. À Force ouvrière, à côté des minorités anarchistes ou trotskistes traditionnelles, certaines tendances entendent déjà se préparer à la succession d'André Bergeron, qui pourtant n'annonce pas son départ. À la FEN, où l'organisation en tendances ne date pas d'hier, la proximité des élections ravive évidemment les rivalités entre autonomistes, procommunistes et libertaires.

Base

En fait, dans les milieux syndicaux, mais aussi dans les milieux patronaux, on sait que tout dépend du comportement de la base ; les initiatives unitaires ne sont en fait que le moyen de préparer (avant même qu'ils n'éclatent) les mouvements, dont on sait d'expérience qu'ils ne revêtiront une ampleur décisive que si les inorganisés les appuient massivement. Or, le mécontentement, s'il crée des situations intolérables parfois, n'arrive pas très souvent à s'exprimer dans les luttes. La peur du chômage, le désir d'éviter tout soubresaut qui briserait l'entreprise en difficulté, le durcissement patronal qui se manifeste par des licenciements ou des sanctions, la fermeté gouvernementale, tous ces éléments se conjuguent pour que l'exaspération demeure larvée. Il ne reste donc plus d'autre issue que d'attendre l'arrivée de la gauche au pouvoir. Les confédérations qui n'espèrent plus rien du gouvernement imaginent que leur combativité limitée les pose en responsables fermes et raisonnables à l'égard du gouvernement qui prendra les commandes en 1978.

Contrat

« Nous assistons à une dégradation générale des choses, qui pourrait nous conduire à une situation incontrôlable. » Cette déclaration d'André Bergeron résume la crainte des syndicats réformistes devant le blocage de la politique contractuelle, qui est pour eux le test de la volonté de concertation du gouvernement. Tandis que Georges Séguy constate : « Si on refuse de négocier à froid, il faudra le faire à chaud. » Le Premier ministre rétorque : « Je ne céderai pas. » L'analyse de Raymond Barre est simple : les salariés du secteur public, qui bénéficient de la sécurité de l'emploi, ne doivent pas exiger plus que le strict maintien du pouvoir d'achat.