Les psychiatres réunis autour du Dr Cooper à Londres, au début des années 60, et notamment le Dr Laing et le Dr Esterson, confrontent l'expérience qu'ils ont acquise des pratiques psychiatriques. Ils voient dans la psychiatrie classique et dans les différentes méthodes thérapeutiques utilisées, même dans la psychanalyse, des manifestations de la répression sociale.

Critères sociaux

L'hôpital psychiatrique est d'abord, selon ces psychiatres, un lieu d'internement où s'opère une ségrégation en fonction de critères sociaux. Le psychiatre est celui qui, décrétant ou acceptant l'internement, se rend complice de coercition. Le médecin d'asile joue un rôle répressif qui altère son rôle thérapeutique. Celui-ci est d'ailleurs perverti à la base par la théorie médicale elle-même. La psychiatrie classique se fonde sur l'étude organique, anatomique et histologique des lésions cérébrales. Si l'on y ajoute la recherche des virus ou microbes pathogènes, la biochimie du cerveau, la prise en compte des facteurs génétiques, on ne cerne qu'un nombre réduit de troubles psychiques. La plupart des cas d'aliénation exigent la prise en considération des facteurs familiaux et sociaux, des conditionnements subis par le sujet. Or la pratique thérapeutique ne tient pas compte de ces facteurs. Elle classe les maladies mentales selon une taxinomie arbitraire et leur applique des traitements de caractère chimique ou physique (électrochocs), quand il ne s'agit pas d'interventions chirurgicales (lobotomie). De plus, le malade est privé de liberté, de travail, d'amour et même de communication. Ce mode d'existence aboutit sinon à créer la folie elle-même, du moins à la rendre chronique.

Des réformes partielles

La psychothérapie institutionnelle, tenant compte d'une partie de ces critiques, tente une réforme thérapeutique fondée sur une communication plus large et sur une certaine participation du malade. On cherche à abandonner les attitudes autoritaires, les rapports hiérarchiques, à instituer une gestion communautaire. Mais les antipsychiatres font ressortir le caractère partiel de ces réformes. Le malade reste privé de liberté réelle et réduit à l'état d'objet, aliéné relativement à la société globale.

La psychiatrie de secteur, appliquée notamment dans le XIIIe arrondissement à Paris, vise à éviter l'hospitalisation du patient. Il sera pris en charge par le psychiatre dans sa famille et dans son milieu professionnel. Le médecin s'efforcera d'associer à son effort la famille et les différentes instances sociales dont relève le malade. Mais ce système n'échappe pas à la critique des antipsychiatres. Contraindre le malade à vivre dans un milieu qui s'est avéré pathogène, n'est-ce pas encore lui faire violence ?

La société et son fou

Les antipsychiatres vont procéder à une véritable révolution de la psychiatrie, tant dans les concepts que dans les méthodes thérapeutiques. En 1965, les docteurs Laing, Cooper et Esterson fondent la Philadelphia Association. Celle-ci a pour objet de :
– délivrer la maladie mentale, en particulier la schizophrénie, de toutes les descriptions ;
– de rechercher les causes des maladies mentales et les moyens de les détecter, de les prévenir, de les traiter ;
– d'organiser des lieux d'accueil pour les personnes souffrant ou ayant souffert de maladies mentales.

Un rapport d'activité de l'Association, publié en 1969, précise les résultats théoriques de la recherche. « Nous avons été conduits à penser que, dans de nombreux cas, ce n'est pas la maladie d'une seule personne, mais un processus social... Ce qui est en cause n'est pas une maladie, et le lieu n'est pas seulement ou pas du tout à l'intérieur du cerveau ou de ses composants biochimiques. Il y a désordre complexe dans un groupe social, désordre qu'intègre la biochimie de tous les gens de ce groupe. »

Communauté et liberté

Ce qu'on appelle la schizophrénie renvoie donc au groupe social, au fait que le sujet aliéné se trouve rejeté de l'environnement humain par des désirs et des attentes contradictoires.