Dans Five easy pieces, de Bof Rafelson, le film le plus mûr et le plus réfléchi des trois, c'est le tableau amer d'une civilisation inquiète qui transparaît à travers le portrait d'un jeune homme à la recherche de sa propre identité. À cette exceptionnelle trilogie, il faut ajouter une œuvre dont la qualité principale n'est pas non plus l'optimisme. On achève bien les chevaux, de Sydney Pollack, l'un des auteurs les plus personnels de la nouvelle génération, et signaler une très intelligente politique de reprises cinématographiques, qui nous a permis notamment de redécouvrir les vieux films de Buster Keaton, Harry Langdon, Fred Astaire (et Ginger Rogers), Marlène Dietrich, W.-C. Fields et Rudolf Valentino.

Grande-Bretagne

Cerner la véritable nationalité des films anglo-américains devient de plus en plus délicat. L'injection de capitaux internationaux brouille les cartes. Si David Lean (la Fille de Ryan) est indubitablement britannique, ses films le sont-ils pour autant ? Même question pour Peter Yates (la Guerre de Murphy). La question (est-elle importante ?) risque de demeurer longtemps sans réponse.

Tournée sur la côte irlandaise, la Fille de Ryan a déçu par un recours systématique au mélodrame. Beaucoup d'atouts : une image grandiose et léchée, une musique insistante, des acteurs consciencieux. Mais le succès a été mitigé. Plus personnelle, la Symphonie pathétique, de Ken Russell (l'auteur heureux de la version filmée de Love), donne de la vie de Tchaïkovski une version qui serait, on le suppose, fort désavouée par les cinéastes académiques de Moscou. Fidèle à son style nerveux et outrancier, Russell fait du musicien un être névrotique et exalté, pour lequel la musique est à la fois un exutoire et un exorcisme.

Joseph Losey n'a guère convaincu dans Deux hommes en fuite, œuvre mineure si on la compare au superbe Messager, brillant lauréat du Festival de Cannes. Récit d'une éducation sentimentale (celle d'un tout jeune garçon) gâchée par la cruauté d'une société hypocrite (nous sommes en 1900), le Messager peut ère considéré comme l'œuvre de Losey la plus accomplie. Plutôt que Christopher Miles (la Vierge et le gitan, d'après D. H. Lawrence), c'est un autre nouveau venu, Ted Kotcheff (Two Gentlemen), qui semble capable d'assurer la survie d'un cinéma anglais qui parait quelque peu piétiner.

Italie

Année particulièrement faste. Sept cinéastes : Luchino Visconti, Federico Fellini, Francesco Rosi, Elio Petri, Gillo Pontecorvo, Mauro Bolognini, Bernardo Bertolucci ; sept films de poids : Mort à Venise, les Clowns, les Hommes contre, Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, Queimada, Metello et le Conformiste. Le Sacco et Vanzetti de Giuliano Montaldo aurait pu compléter le triomphe transalpin si la vigueur de la mise en scène avait été à la hauteur du propos, ce qui n'est malheureusement pas le cas.

Avec Mort à Venise, adapté d'un court récit de Thomas Mann, Visconti a tourné un film d'une superbe facture classique qui parfois frôle le maniérisme esthétique et décadent. Un musicien vieillissant rencontre dans la cité des Doges un très jeune adolescent dont la beauté le fascine. Visconti, particulièrement à son aise dans la peinture des décadences, des crépuscules, du pourrissement de l'âme, a décrit avec une aristocratique lenteur ce combat désespéré entre Eros et Thanatos dans une ville soudainement contaminée par une épidémie de choléra.

Fellini, sur un sujet fort différent, ne se montre guère plus optimiste dans les Clowns. Baroque, cruel, mordant, tout entier baigné par la tristesse qu'on éprouve en parlant d'un monde qui disparaît, il a composé un requiem mélancolique dédié aux gens du voyage sous la forme habilement trompeuse d'une enquête et d'un reportage. Avec les Hommes contre, pamphlet antimilitariste de Francesco Rosi, nous entrons dans le domaine de la contestation sociale et politique, un genre qui ne réussit qu'aux convaincus. Rosi est de ceux-là. Il va plus loin que Kubrick (les Sentiers de la gloire) et Losey (King and Country), en démontant le mécanisme absurde et dérisoire de la guerre. Mais il ne se contente pas de brocarder l'incapacité et le cynisme de ceux qui donnent des ordres et envoient à la mort leur bataillon pour reprendre à l'ennemi un bastion rocheux, il dénonce, par une admirable dialectique idéologique, le perpétuel conflit entre les bourreaux et les victimes.