Et ce n'est pas le moindre paradoxe de prétendre que la meilleure surprise de l'année n'est pas vraiment un film, mais le Chagrin et la Pitié, de Marcel Ophuls, qui, en quatre heures de projection, nous en apprend infiniment plus sur la France provinciale pendant l'Occupation que des dizaines d'ouvrages consacrés au même sujet.

États-Unis

L'Amérique s'interroge sur son avenir. Les cinéastes n'ont pas été les derniers à détruire les unes après les autres les valeurs établies. La révolution des esprits est en marche. Le glorieux passé est analysé avec lucidité. Aucun genre ne résiste à ce besoin de franchise qui s'accompagne parfois de masochisme. Le western, par exemple, genre spécifiquement américain, a depuis longtemps jeté par-dessus bord l'immuabilité de ses scénarios. Les Indiens ont été peu à peu réhabilités. On se penche maintenant sur les exactions des fameux Rangers et autres défenseurs de la colonisation blanche. L'épopée du général Custer commence à être singulièrement ternie. Arthur Penn, dans Little big man, assassine le général aux cheveux si blonds par satire interposée en entraînant son héros (l'excellent Dustin Hoffman) dans des aventures picaresques. Ralph Nelson, dans Soldat bleu, règle ses comptes avec les massacreurs d'Indiens en surenchérissant sur la violence. Tous les westerns ne sont pas pour autant contestataires. Rio Lobo, d'Howard Hawks, reste attaché à un prudent classicisme, tandis que Monte Walsh, de William A. Fraker, décrit avec une poignante nostalgie la fin de l'âge d'or des cow-boys. Quant à J. Mankiewicz (le Reptile), il revient au premier plan en soignant un impitoyable et savoureux duel psychologique entre deux déroutantes canailles (Henry Fonda et Kirk Douglas).

Dans la lignée des Fraises et du sang, la contestation étudiante s'est poursuivie dans Campus, de Richard Rush. C'est également un refus global de la société américaine qui a inspiré l'acteur Jack Nicholson dans son premier essai de réalisateur, Drive he said. Plus convaincant, Panique à Needle Park, de Jerry Schatzberg, se penche sur l'enfer de la drogue chez les jeunes. C'est une sorte de Macadam cowboy plus sincère et plus réussi.

Dernière trouvaille des cinéastes (et des businessmen) : la contestation dans le film de guerre. Le succès de MASH laissait prévoir un déferlement de films saugrenus où toutes les valeurs militaristes se verraient joyeusement dynamitées. Mike Nichols se veut hénaurme, mais son Catch 2 est pesant et appliqué. On se sent du coup quelques faiblesses pour un truculent petit film commercial, De l'or pour les braves, satire parfaitement immorale de l'armée américaine. Ces G.I's Follies nous entraînent tout droit vers les pitreries d'un Jerry Lewis fidèle à ses grimaces dans Ya, ya, mon général. Mais la meilleure comédie américaine est due à un Tchèque : Milos Forman (Taking off), analyste impitoyable des travers de la majorité silencieuse. Dans un tout autre style, Billy Wilder a réussi une Vie privée de Sherlock Holmes qui, par son humour corrosif et malicieux, risque de surprendre les paisibles lecteurs de Conan Doyle.

Quelques films historiques d'agréable facture, Anne des mille jours, de Charles Jarrott ; quelques policiers au souffle court, Bloody Mama, de Roger Corman ; quelques superproductions coûteuses, Tora tora tora, de Richard Fleischer ; quelques fausses comédies musicales, Melinda, de Vincente Minnelli ; quelques pompeux échecs : Myra Breckinridge, de Michael Sarne, dont le seul mérite est d'exhumer l'incroyable Mae West, Dis-moi que tu m'aimes Junie Moon, d'Otto Preminger, ou Faut-il tuer Sister George ? de Robert Aldrich ; quelques essais plus sympathiques que convaincants, Esclaves, d'Herbert Biberman, ou Promenade avec l'amour et la mort, de John Huston, n'ont pu faire oublier que la saison 1970-71 a été essentiellement marquée par l'un des plus grands succès commerciaux de l'après-guerre : celui de Love Story.

Love Story, c'est le film-antidote, le retour aux soap-operas des années 40 (mélodrames sentimentaux destinés à faire sangloter les foules). Le réalisateur Arthur Hiller s'est glissé dans l'ombre de l'auteur du livre, Erich Segal. Les deux interprètes, Ryan O'Neal et Ali McGraw, ont joué le jeu avec une touchante conviction. Et cette conventionnelle histoire restera à jamais célèbre dans les annales du cinéma (pour son aspect sociologique) et dans la tête des producteurs (pour des raisons qu'on devine). Love Story aurait pourtant pu être le portrait d'une certaine jeunesse éprise de romantisme, mais ce n'est qu'une belle image. Le véritable portrait de l'Amérique, il faut le chercher dans trois films passionnants qui forment une trilogie. Le Pays de la violence (traduction contestable de I walk the line) est signé par un jeune vétéran d'Hollywood, John Frankenheimer. Distribué à la sauvette, ce film n'a guère trouvé son public, c'est dommage, car il s'agit d'une étude très remarquable sur l'Amérique provinciale, celle du conformisme moral, de l'intolérance et de l'ennui. Et la véritable Love Story de l'année, c'est sans doute celle d'un shérif (Gregory Peck) et d'une sauvageonne (Tuesday Weld), émouvantes victimes d'un climat social impitoyable où plane encore l'ombre de quelque Ku Klux Klan. Dans Joe, un nouveau venu, John D. Avildsen, se penche sur l'Amérique des villes et imagine la collusion pour le moins ambiguë de deux classes sociales différentes (la upper class et la middle class des ouvriers) que rapproche une haine commune à l'égard de tous les perturbateurs actuels de la société américaine (jeunes drogués, hippies, etc.).