Des expériences particulièrement audacieuses ont été tentées par Catherine Ribeiro avec le groupe Alpes : 15 août 1970, Poème non épique... et par Colette Magny, l'intransigeante, dans un 30 cm intitulé Feu et rythme.

Mais l'extrême nouveauté nous vient de Jacques Higelin et de Brigitte Fontaine, qui nous proposent chacun un 30 cm où crépitent et flamboient l'incohérence et l'agressivité, la démence et l'esprit, l'inattendu et inentendu. Oui, « le XIXe siècle est terminé » : comme le crie Brigitte Fontaine. On commence à le croire en l'écoutant !

Jazz et pop'music

L'avant-garde entre dans la tradition

Il est loin le temps où l'on cassait les fauteuils au cours des concerts de jazz. Autrefois qualifiée de sauvage, cette musique est devenue familière. Ce qui était une mode a survécu et a suscité des enfants plus ou moins bâtards, contestés parfois par ceux-là même qui étaient les zazous des années 40, aujourd'hui citoyens honorables. Bref, le jazz est devenu respectable.

Le 4 juillet, à Provins, Duke Ellington présente sa dernière œuvre : une suite dédiée à La Nouvelle-Orléans qui met en valeur ses meilleurs solistes : Paul Gonsalves, Harry Carney, Cootie Williams et Cat Anderson. L'orchestre, dont la sonorité est rajeunie par la présence de l'organiste Wild Bill Davis, est toujours le meilleur.

Respectabilité

Le plus génial des musiciens est Duke Ellington lui-même, étonnant pianiste, compositeur fécond et animateur toujours vert malgré ses soixante et onze ans. Au premier rang, un ancien ministre de l'Éducation nationale : Alain Peyrefitte, maire de Provins. Oui, il est loin le temps où les fans de Bechet saccageaient l'Olympia. Cette respectabilité du jazz, cette intégration à la culture officielle sera confirmée le même mois par le concert de musique sacrée qui fut offert dans le cadre du Festival d'Orange avec l'orchestre Ellington et la chorale espagnole San Jordi. De l'autre côté de l'Atlantique, à Newport, au cours du plus fameux et du plus ancien des festivals de jazz, un vibrant hommage est rendu à Louis Armstrong, le 10 juillet ; Bobby Hackett, Wild Bill Davison, Ray Nance, Jimmy Owens, Joe Newman, Dizzy Gillespie, tous trompettistes éminents, jouent pour lui.

Le vieux maître, à qui les médecins ont interdit l'instrument, peut toujours chanter. Il accepte le duo avec Mahalia Jackson. Newport fut la grande fête du jazz.

Sur la Côte d'Azur, à Antibes, se déroulent les fastes d'un autre festival célèbre. Malheureusement, cette onzième année risque d'être la dernière, la municipalité élue en 1971 étant hostile à la poursuite de l'entreprise. Beaucoup le regretteront. Au programme du 17 au 23 juillet 1970 : Erroll Garner, Lionel Hampton, Roy Eldridge, Stan Getz, Archie Shepp, Michel Portal et la chanteuse mi-jazz, mi-pop Aretha Franklin.

Le messager Sun Ra

Le public déçu par les outrances politico-musicales des tenants d'un art où la revendication pour le pouvoir noir est plus importante que le souci de plaire, ce furent les traditionalistes, tels Erroll Garner et Lionel Hampton, qui obtinrent le plus grand succès. En revanche, fin juillet-début août, à Saint-Paul-de-Vence, au festival de la Fondation Maeght, deux pionniers des formes nouvelles de l'art négro-américain suscitèrent un grand enthousiasme. D'une part, le saxophoniste ténor Albert Ayler, sorte de Douanier Rousseau de la musique, qui exprime avec un lyrisme étonnant des mélopées où l'on ne sait si la bêtise musicale est assumée, ridiculisée ou sublimée ; de l'autre, Sun Ra, annoncé comme un messager astral qui broie des sons électroniques au centre d'une orgie de cris plus ou moins organisés donnant une image farouche d'un monde que l'on souhaite en pleine mutation.

En septembre, une tournée européenne permet d'apprécier, aux côtés de l'éclectique flûtiste Herbie Mann, un guitariste sauvage, impressionnant novateur dans la transformation de l'instrument grâce aux effets électroniques : Sonny Sharrock. À Paris, Harry James vient, le 18 septembre, bercer des souvenirs nostalgiques, tandis que Ray Charles déplace, en six concerts parisiens et quelques-uns en province, une foule fascinée.