Ce spectaculaire développement ne provoque pas seulement des conflits avec les habitants des villages traversés par les grands axes routiers, exaspérés par les bruits et les gaz ; il ne se réduit pas à l'énervement du conducteur derrière une file de poids lourds ; il se traduit, surtout, par la dramatique usure des routes, mal conçues pour supporter la charge d'un tel trafic. Les poids lourds sont les premiers responsables de la dégradation des routes.

Les blocages de février et mars 1970 auront eu peut-être le mérite de montrer la nécessité d'une politique globale des transports : par la construction accélérée de milliers de kilomètres d'autoroutes, grâce au concours des capitaux privés, et par l'amélioration du réseau routier existant ; mais, aussi, par le recours accru aux autres modes de transport, notamment au rail, qui retrouve une nouvelle jeunesse avec les containers. Pour les spécialistes, la voie du salut est une voie ferrée.

Le parc poids lourds

Le parc français de véhicules utilitaires comprend 600 000 véhicules de plus de 3,5 t (poids total en charge), divisés en deux catégories :
– Le transport public routier : 130 000 véhicules, appartenant à 29 000 entreprises, qui vendent leurs services aux industriels et commerçants ;
– La transport privé : 470 000 véhicules appartenant à des industriels et commerçants, qui transportent leurs propres marchandises sur l'ensemble du territoire ou dans une seule région.

Les restrictions à l'étranger

– Allemagne de l'Ouest : camions de plus de 7,5 t, interdiction sur l'ensemble du réseau les dimanches et jours fériés de 0 heure à 22 heures, sur les autoroutes le samedi après-midi.

– Italie : plus de 5 t, interdiction sur tout le réseau les dimanches et jours fériés, de 9 heures à 20 heures.

– Suisse : plus de 5 t, interdiction sur toutes les routes les dimanches et jours fériés, la nuit de 22 heures à 4 heures du matin entre le 1er avril et le 31 octobre, de 21 heures à 5 heures du matin du 1er novembre au 31 mars.

L'état des routes

Pour une fois d'accord, l'opposition et la majorité ont fait chorus, au mois de mars, pour dénoncer l'état lamentable des routes françaises à la fin d'un hiver particulièrement long.

Le gel et le verglas ne sont pas les premiers responsables de la détérioration du réseau routier, parsemé de nids-de-poule sur la plupart des grands itinéraires et qui rappelle la situation de l'immédiat après-guerre ou celle des routes espagnoles il y a trente ans. Le premier coupable, c'est le manque de crédits pour l'entretien des routes.

La charge à l'essieu

En 1958, 5 700 000 véhicules (voitures particulières et camions) sillonnent les routes de France. En 1969, ils sont deux fois plus nombreux : 12 800 000. Or, dans le même temps, l'effort financier pour doter la France d'un réseau moderne de voies autoroutières et routières était tout à fait insuffisant ; de 1938 à 1969, le volume de la circulation routière a été multiplié par sept, alors que les crédits d'entretien n'augmentaient — en francs constants pendant la même période — que de 10 % !

De 550 millions de francs en 1968, ces crédits sont tombés à 519 en 1969 et à 516 en 1970.

En consacrant 0,4 % de son revenu national à l'équipement routier, la France se classait bonne dernière en Europe, derrière l'Italie (0,8 %) et l'Allemagne (1,3 %). De la même façon, elle n'utilisait pour la route que 13 % des recettes de la fiscalité automobile, contre 27 % en Italie et 69 % en Allemagne.

Pour les spécialistes des Ponts et Chaussées, la prolifération des poids lourds, « qui cassent les routes et ne les paient pas », est la cause essentielle du désastre. Sur les grandes nationales, la 5, la 6 ou la 7, leur trafic augmente de 15 à 20 % chaque année. Or, la France est le seul pays européen à avoir accepté une charge de 13 t par essieu. Les routes n'ont pas été conçues pour supporter de tels poids.

L'armée américaine a calculé avec précision qu'un camion dégradait la chaussée dans une proportion 85 000 fois supérieure à celle d'une voiture. En France, le Service des études et recherches de la circulation routière estime que les essieux de plus de 7 t provoquent au moins 95 % de l'usure d'une chaussée ordinaire.