Le 5 août, Mariano Rumor parvient à constituer son cabinet, après quelques jours de tension où la perspective d'élections anticipées semble la seule solution de rechange. Il naît faible, soutenu de l'extérieur par les autres partis de la majorité, et son atout cependant lui est fourni par la pesanteur même de la situation générale : aucun autre gouvernement ne s'est montré prêt à en assumer la responsabilité.

Un mois plus tard commence l'automne chaud, annoncé et attendu depuis le début de l'année. Les conventions collectives de 6 millions de travailleurs doivent expirer en décembre. Dès juillet, les grandes confédérations syndicales ont présenté à la Confédération des industriels les cahiers de revendications. Au cours de leurs congrès, trois principes ont été approuvés, dont les luttes à venir vont être la mise à l'épreuve :
– préparation de la réunification des syndicats ;
– rupture des liens avec les partis politiques pour aboutir à une autonomie absolue ;
– défense d'un programme de réformes sociales.

Les discussions de salaires ne constituent qu'une première étape et leur règlement est indépendant du programme de réformes. Car les centrales syndicales, CGIL (communiste-socialiste), CISL (démocrate-chrétienne), UIL (social-démocrate, républicaine), propagent un seul mot d'ordre : elles doivent devenir interlocuteurs directs du gouvernement, substituer leur intervention active à celle des partis politiques, qui ont été incapables d'exercer la tâche de médiation à laquelle ils sont voués, entre le citoyen et les pouvoirs. L'enjeu de l'automne chaud, c'est bel et bien la naissance d'un pouvoir syndical, dont les formes restent obscures, mais la volonté claire.

Une inconnue préoccupe tous les responsables : quelle sera l'importance réelle des groupuscules gauchistes, ouvriers ou étudiants, infiltrés dans les grandes entreprises du Nord, notamment à Turin ? Dès les premiers jours de juillet, quelques grèves sauvages chez Fiat montrent qu'ils tâtent le terrain, éprouvent la sensibilité des ouvriers organisés, au lendemain même de la signature d'un accord partiel, indépendant du renouvellement des conventions collectives.

Dès le 2 septembre, ils interviennent dans l'une des usines Fiat, provoquent l'interruption du travail sur plusieurs chaînes successives. La direction réplique en proclamant le lock-out. On s'explique mal cette stratégie qui tend le climat dès le début d'une période qu'on prévoit longue. Les centrales syndicales en tirent immédiatement l'occasion de reprendre le contrôle d'une base que leur disputaient les comités unitaires.

Pendant deux mois, jusqu'au début de novembre, les conversations pour les conventions des métallurgistes — qui servent de modèle aux autres — vont traîner. Pour la première fois, les centrales italiennes utilisent le procédé des syndicats britanniques : accompagner la négociation par l'agitation. Les grèves s'échelonnent dans le temps et le lieu ; la lassitude commence à se montrer jusqu'au tournant de novembre.

À ce moment, le ministre du Travail, Carlo Donat-Cattin, lui-même ancien dirigeant des syndicats chrétiens, propose son arbitrage, accepté sans enthousiasme. Il mettra un mois et demi pour aboutir, mais pendant ce temps des incidents graves surviennent.

Attentats à Milan et à Rome

Le 19 novembre, à Milan, à l'issue d'un meeting, une bousculade se produit : un agent de police y est tué dans des conditions qui demeurent mal éclaircies. Son inhumation, deux jours plus tard, se déroule dans un calme absolu à Milan. Le 12 décembre, à Rome et encore une fois à Milan, cinq attentats ont lieu à la même heure, en fin d'après-midi, dans des banques. Douze victimes à Milan. Deux jours plus tard, 100 000 personnes assistent à leurs obsèques, de nouveau dans le calme.

Mais l'impression demeure que ce sang-froid, même s'il est mêlé de fatigue, après l'amputation de plusieurs semaines de salaire, est à la merci de nouvelles tensions. De part et d'autre, on désarme : les conventions collectives se signent, accordant 16 % d'augmentation en moyenne pour l'année en cours. Mariano Rumor, pour sa part, envisage de reconstituer son gouvernement avec tous les partis du centre gauche.