Si, au début de la saison, la Biennale de la Jeune Peinture avait permis à plusieurs troupes d'avant-garde internationale de s'exhiber à Paris, c'est au mois d'avril, à Nancy, que l'on a eu la révélation de la troupe de marionnettes de Peter Schumann, le Bread and puppet's theater, de New York, qui monte dans les rues des spectacles d'actualité, tandis que les Brésiliens se déchaînaient avec une étonnante pièce datant d'il y a une trentaine d'années : le Roi de la chandelle, d'Oswald de Andrade.

Nous retrouvions à Nancy le même phénomène qui s'était produit lors de la Biennale ou, peu avant, à la maison de la Culture de Bourges, lors du Festival de théâtre des provinces : un public jeune et ardent, de non moins jeunes professionnels, acteurs, animateurs, critiques — tout un monde en ébullition pour qui le théâtre se confond avec une présence au monde, une responsabilité, dont les esthétiques d'avant-garde sont le véhicule indispensable, en opposition avec un réalisme rassurant et simplifiant...

Théâtre des Nations

À Paris même, le théâtre des Nations avait pris un départ languissant. Jean-Louis Barrault nous avait annoncé que Peter Brook préparait un spectacle collectif avec la participation d'acteurs internationaux, tandis que nous pouvions voir pour la première fois en Europe le théâtre Bunraku, ces fameuses marionnettes japonaises d'Osaka, dont l'art et le perfectionnement technique datent du début du xviiie siècle. Ces poupées de 1,20 m de hauteur sont tenues par trois manipulateurs visibles, dont le visage est recouvert de capuches noires ou bien apparent, selon le genre des pièces représentées, et c'est comme un ballet de fantômes qu'accompagnent le son des shamisen et la voix gutturale du récitant du Joruri (le récit épique japonais) et qui nous faisait revivre une action héroïque ou quelque drame d'amour dont les acteurs auraient été guidés par un impitoyable et perceptible destin...

Le théâtre, c'est nous

Mais déjà les grèves empêchaient la première représentation des Ballets Paul Taylor. Les premières barricades s'étaient dressées à 300 m du théâtre de l'Odéon. Un soir, à la fin d'une des premières représentations de ces ballets américains, une troupe de jeunes gens, appartenant au Comité d'agitation culturelle, faisait irruption dans la salle. Jean-Louis Barrault, Madeleine Renaud essayaient de parlementer, en vain. Le lendemain, des acteurs improvisés proposaient au public de jouer une pièce d'actualité. Un spectateur s'écria : « Le théâtre, c'est nous qui le faisons ! »

De fait, c'était une extraordinaire pièce, mise en scène par une main invisible, qui se jouait dans les rues du Quartier latin. Le ballet noir des forces de police montant à l'assaut dans les fumées de gaz jaune, les barricades, les tenues hétéroclites des manifestants — certains avaient sur la tête des casques de théâtre —, les longs défilés ponctués de drapeaux rouges et noirs, ailleurs de drapeaux tricolores, les discussions sans fin, restituaient une atmosphère éminemment théâtrale.

Faire un pas en avant

Toute activité théâtrale suspendue par la grève — mais qui aurait alors songé à se rendre au théâtre ? —, des milliers d'acteurs se rassemblaient à leur syndicat, dont ils avaient depuis longtemps oublié l'adresse, dans les théâtres, prenant subitement conscience qu'ils n'avaient jamais défini leur profession ni exigé pour eux un statut au sein d'une société qui les admire, mais ne fait pas grand-chose pour eux. À Lyon-Villeurbanne, Roger Planchon réunissait les directeurs des Centres dramatiques et des Maisons de la Culture pour les contraindre à enfin définir leur public et ce qu'ils devaient lui donner. Du Conservatoire à la Comédie-Française, du TNP aux petits théâtres de la rive gauche, des mouvements confus, mais nécessaires, agitaient ce microcosme qui reproduit, à l'échelle du monde du théâtre, les contradictions de la société.

En ce sens, même si le théâtre a souffert, à la fin de la saison 67-68, d'une interruption, on peut penser que cette remise en question, que ce brassage généreux auront permis aux hommes de théâtre de prendre un nouveau départ, sur la voie qu'indiquaient déjà les meilleurs spectacles d'une année riche en événements divers.

Musique

La physionomie générale de la saison n'offre pas de traits saillants, sinon que, face aux activités routinières, se développe une certaine tendance à favoriser la musique contemporaine. Le ministère des Affaires culturelles a poursuivi son action de réorganisation et d'animation, entreprise depuis deux ans pour répondre au désir général de voir rajeunir les structures de la vie musicale. Ce désir s'est trouvé accentué ; les événements de mai et les grèves ont paralysé la vie musicale pendant plus de trois semaines, mais ils auront eu pour résultat de renforcer une poussée réformatrice dont on aura, sans doute sous peu, à constater les effets dans l'enseignement, la pratique et la création.

Les concerts s'adressent à la jeunesse

La vie musicale est, cette année encore, somnolente, même si trois ou quatre concerts en moyenne sont donnés chaque soir à Paris. Beaucoup d'heures de musique, fort peu de faits saillants, et moins encore de faits nouveaux. Le répertoire demeure solidement accroché à quelques compositeurs vedettes, toujours les mêmes, et sur quelques œuvres de ceux-ci, elles aussi toujours les mêmes.