Sensibles peut-être à cette lettre — qui ne leur était point adressée — CGT et CFDT, après la journée du 1er février, envoient une nouvelle lettre à P. Huvelin, président du CNPF. Les deux centrales syndicales demandent des négociations à tous les niveaux. Elles ne réclament donc pas au CNPF de traiter de questions qui ne sont pas de sa compétence, elles se déclarent prêtes « à examiner dans quel ordre les revendications pourraient être discutées », ce qui veut dire qu'elles ne demandent pas de discuter de tout en même temps.

Aussi, à son tour plus conciliant, le CNPF entrouvre la porte : « Les problèmes que vous soulevez sont très importants, répond-il ; nous allons les soumettre à nos instances régulières. »

Est-ce le dégel ?

En très peu de temps, le climat se durcit à nouveau. Après les prodromes du conflit Dassault à Bordeaux, juste réglé avant les élections, éclatent une série de grèves : chez Rhodiacéta à Besançon, puis à Lyon ; chez Berliet, à Saint-Nazaire, dans les mines de fer.

Problèmes de la parité

Quel est le déroulement de ces conflits parallèles ? Quelles en sont les leçons ?

Le point de départ est simple : demande de la parité avec Paris. L'ajusteur de l'usine Dassault à Bordeaux compare son salaire non avec celui des autres ajusteurs bordelais, mais avec celui de son homologue des autres usines Dassault de la région parisienne.

Le 27 janvier, alors qu'une délégation étrangère visite les ateliers de Talence, un chahut éclate. C'est la cinquième manifestation depuis le 1er décembre. Le 1er février, la direction locale lock-oute l'usine et annonce le licenciement des « meneurs ».

La lutte devient ouverte. La position dure de la direction, à quelques semaines des législatives, inquiète J. Chaban-Delmas. Il s'entremet pour demander la réintégration des 22 « meneurs » menacés de licenciement. Marcel Dassault, lui-même député UNR de l'Oise, soucieux de la portée que peut revêtir le conflit, désavoue implicitement la direction locale en levant le lock-out le 20 février, en abandonnant les sanctions envisagées et en signant, huit jours plus tard, un accord : les salaires sont systématiquement alignés à 5 % de ceux de Paris, tandis que des postes sont l'objet d'une reclassification.

Dès lors, le ton est donné. Une brèche apparaît ouverte. Par une réaction en chaîne spontanée, d'autres points chauds surgissent.

Les conditions de travail

L'essentiel à la Rhodiacéta, au départ, ce ne sont pas les salaires. Le 25 février, lorsque les 3 200 ouvriers de Besançon — au total l'entreprise compte 14 000 personnes — décident d'occuper l'usine, il s'agit d'obtenir une amélioration des conditions de travail : horaires, temps de repos, congés payés.

Ceux qui ont lancé le mouvement sont les quatre huit, travaillant à feu continu, à des rythmes constamment décalés. De plus, des mesures répétées de chômage partiel incitent à remettre en cause la gestion de l'entreprise.

Parce qu'il porte sur des problèmes fondamentaux, presque de principe, le conflit s'annonce dur et presque sans issue. Mais au fur et à mesure qu'il s'étend à Lyon et au Péage-de-Roussillon, les revendications qualitatives de départ s'estompent. À l'initiative de la CGT, l'accent est mis sur les salaires.

Le centre de négociation se déplace : les conditions de travail sont à apprécier dans le cadre de l'entreprise, alors que les salaires sont un domaine réservé du gouvernement. C'est à l'issue d'une médiation de J.-M. Jeanneney, fin mars, que le conflit est stoppé par une décision de hausse de salaires de 3,83 %. Pour les quatre huit, là n'était pas le vrai problème. Et pendant plusieurs semaines l'agitation persiste jusqu'à ce que soient accordés quelques jours de repos supplémentaires.

La concurrence

Pour la direction de Berliet, la crise du marché du camion est une affaire européenne. Pour les syndicats, seule la mauvaise gestion de l'entreprise est à l'origine de la réduction des horaires : on s'est engagé trop tard dans la course à la productivité, et l'entreprise, à la fois suréquipée et peu compétitive, en est réduite à stocker et à institutionnaliser le sous-emploi.