Seul le sénateur de l'Illinois Charles Percy a critiqué le principe de l'intervention militaire croissante. Il paraît cependant trop nouveau sur la scène politique pour avoir des chances de défendre les couleurs du parti républicain dans la course à la Maison-Blanche.

Dans le parti démocrate, Lyndon Johnson est également critiqué sur sa droite et sur sa gauche. Pour certains parlementaires des États du Sud, la politique du président n'est pas assez ferme. De nombreux libéraux du parti lui reprochent, en revanche, de faire trop confiance à la force des armes et de ne pas sincèrement vouloir d'une négociation.

C'est le sénateur William Fulbright, démocrate de l'Arkansas, président de la commission des Affaires étrangères, qui a mené la bataille contre Johnson, en particulier par les enquêtes de sa commission. Télévisées, ces séances ont beaucoup fait pour diffuser les arguments des pacifistes.

Les chances de Bob

W. Fulbright a été suivi à des degrés divers par une quinzaine de sénateurs, dont Wayne Morse (démocrate de l'Oregon), Mark Hatfield (républicain du même État), Mike Mansfield (du Montana, leader de la majorité démocrate), Ernest Gruening (démocrate de l'Alaska), Frank Church (démocrate de l'Idaho) et George McGovern (démocrate du Dakota du Sud). Aucun, à l'exception de Morse et Gruening, n'est cependant allé jusqu'à refuser de voter les crédits militaires.

Au retour d'une tournée en Europe au début de 1967, le sénateur Robert Kennedy a rejoint le groupe des opposants en critiquant publiquement l'attitude de Johnson et en recommandant une suspension temporaire des bombardements du Viêt-nam du Nord. Cette prise de position n'a fait qu'accentuer la division du parti démocrate entre johnsoniens et partisans de Robert Kennedy.

Si la controverse n'a pas favorisé le président, elle n'a pas non plus accru les chances de Robert Kennedy de succéder un jour à son frère assassiné. Son opposition à la guerre du Viêt-nam, souvent qualifiée d'opportuniste, ses incessantes attaques contre l'Administration et le scandale de l'affaire Manchester (du nom du journaliste chargé d'écrire un livre relatant les derniers jours de la vie de John Kennedy) ont très sensiblement affaibli sa popularité.

Le mécontentement de la minorité de la population américaine opposée à la guerre du Viêt-nam ne s'est pas seulement traduit par les discours d'une poignée de parlementaires.

La CIA finance

Il s'est manifesté dans les rues des grandes villes de New York et de San Francisco notamment, où un mouvement pacifiste réunissait simultanément le 15 avril des foules estimées entre 200 000 et 400 000 personnes, pour la plupart des jeunes et des intellectuels.

Ces manifestations géantes traduisent une approche plus sentimentale que politique du conflit vietnamien et une rupture de plus en plus nette entre le pouvoir et le monde universitaire. La révélation, en février 1967, du financement de nombreuses associations étudiantes ou à caractère culturel par les services d'espionnage américains (CIA) n'a fait qu'exacerber ces sentiments de méfiance à l'égard du pouvoir.

De nombreux Noirs ont participé également au mouvement de protestation orchestré par la nouvelle gauche américaine. Cette alliance entre pacifistes et militants des droits civiques est préconisée ouvertement, depuis mars 1967, par le pasteur Martin Luther King, prix Nobel de la paix et président de la Conférence des leaders chrétiens du Sud.

Pour le pasteur King, un pays engagé dans une guerre injuste ne peut pas espérer mettre fin aux injustices qui sont commises sur son sol tant qu'un terme n'est pas mis à la guerre.

Cette prise de position radicale de l'apôtre de la non-violence a encore accentué la division du mouvement noir. Elle a soulevé la réprobation des organisations intégrationnistes les plus modérées — la Ligue urbaine et l'Association nationale pour le progrès des Noirs (NAACP) —, qui ne veulent pas prendre le risque de s'aliéner la sympathie des masses blanches en critiquant la politique étrangère de leur pays.

Discuter d'égal à égal

Cette crainte a encore été accentuée par l'alliance du pasteur King avec les tenants du pouvoir noir, ainsi que par les déclarations de plusieurs militaires de haut rang, dont le général Westmoreland, le commandant en chef des troupes américaines au Viêt-nam, assimilant les pacifistes à des « traîtres ».