sexualité

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


En allemand : Sexualität, « sexualité », et Geschlechtlichkeit, au sens étroit de « différence sexuelle ».

Psychanalyse

L'élargissement de la notion de sexualité, la démonstration de son indépendance à l'endroit de la procréation, ainsi que la mise au jour de son importance dans la vie psychique sont la révolution psychanalytique. Freud renoue de la sorte avec la tradition grecque d'Éros et les cultures anciennes de l'érotisme (Chine, Inde, etc.). Les Trois Essais sur la théorie sexuelle(1) démontrent que la sexualité n'est pas réductible à l'attraction irrésistible et instinctive d'un sexe par l'autre, conduisant à l'union des sexes (Geschlecht) dans le coït. La sexualité existe dès la naissance, concerne toute une gamme de plaisirs qui ne se confondent pas avec la seule excitation génitale, et trouve la satisfaction de façon contingente, selon des voies et des pratiques diverses.

Étayé sur les grandes fonctions biologiques et éveillé par les soins que le nourrisson reçoit, le plaisir sexuel n'est d'abord que le produit annexe (Nebenprodukt) de la satisfaction d'un besoin vital ; il s'en détache peu à peu, gagne son autonomie et advient comme plaisir d'organe (Organlust). Le plaisir du suçotement double ainsi, par exemple, celui lié à l'assouvissement de la faim. À chaque zone érogène correspond une pulsion partielle, qui tend indépendamment des autres vers une satisfaction autoérotique. L'organisation de la libido (énergie psychique sexuelle) sous le primat d'une zone érogène permet de distinguer différentes phases de la sexualité infantile (orale, sadique-anale, phallique) qui déterminent chacune un mode prévalent de rapport au monde pour l'enfant, puis l'adulte.

Les destins de la sexualité infantile sont divers. Unifiées sous le primat de la génitalité, les pulsions partielles concourent, comme plaisirs préliminaires, à l'acte sexuel. En cas de perversion, des composantes partielles de la sexualité infantile persistent ou réapparaissent. La névrose est le « négatif de la perversion »(2) : le désir sexuel, refoulé, ne se réalise que sous la forme détournée du symptôme. La sublimation, enfin, est la contribution de la sexualité aux réalisations intellectuelles et artistiques de l'humanité.

La répression de la sexualité a pour corrélat la multiplication des formes d'expression de l'agressivité, de la haine, et, par retournement contre soi, de la culpabilité. Pour gagner la paix, l'élaboration de la sexualité, la mise en jeu de l'érotisme sont donc une alternative économique à la préparation de la guerre.

Christian Michel

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Freud, S., Drei Abhandlungen zur Sexualtheorie (1905), G.W. V, Trois Essais sur la théorie sexuelle, Gallimard, Paris.
  • 2 ↑ Ibid., p. 80.

→ décharge, destin, enfantin et infantile, étayage, libido, plaisir, pulsion




L'altérité des sexes est-elle radicale ?

Le deuxième sexe est l'autre sexe. Il suffit de traduire en allemand le livre de S. de Beauvoir pour que le glissement se fasse : le Deuxième Sexe s'intitule Das andere Geschlecht. La place seconde est-elle celle de l'autre ? Dans cette question se joue l'histoire d'un autre semblable ou d'un autre différent. Aussi, nous avons les deux sortes d'altérité : la platonicienne, encline à placer la femme à une place inférieure sur l'échelle graduée des êtres, où le second vient après le premier ; et l'aristotélicienne, plus insistante sur l'hétérogénéité de la femme au regard de l'homme, comme la matière et la forme disposées sur un plan horizontal, où l'autre est sur le plan du même.
Longtemps l'altérité fut une évidence dont il fallait simplement donner la définition, le contenu signifiant. La définition était entre le plus et le moins, ou entre l'appartenance et l'exclusion. La prééminence d'un sexe sur l'autre alimenta la querelle littéraire de l'âge classique, la propriété de l'âme des femmes et des bêtes nourrit les joutes théologiques. L'excellence d'une nature ou la propriété d'une qualité étaient des critères de jugement qui, à défaut d'être sûrs, étaient clairs.
Aujourd'hui, l'altérité est vide de contenu ; c'est ce qu'il faut démontrer ici brièvement.

La naissance de l'ère démocratique, surtout si elle est doublée d'un événement fondateur comme la Révolution française, est une rupture historique autant que théorique. Du point de vue des sexes, la cassure est très importante. En effet, le modèle de la démocratie est essentiellement celui de la similitude des êtres. Être semblable est au fondement de l'idée égalitaire induite par la démocratie. Or, les sexes sont historiquement marqués par le dissemblable et, conséquemment, par la hiérarchie, la domination d'un sexe sur l'autre. La rupture permise par la démocratie se joue donc immédiatement à deux niveaux : les sexes pourraient être semblables avant d'être différents, les sexes pourraient être égaux parce qu'ils seraient semblables. L'altérité serait-elle alors susceptible de disparaître ? La question peut paraître abstraite. Il n'en est rien. Les hommes des années 1800 se sont réellement posé cette question : que devient la relation entre sexes, amour et désir, si le semblable l'emporte sur le différent ? Certains ont pensé que la reconnaissance de la similitude entre hommes et femmes signifiait un danger pour la relation sexuelle, indiquait une future confusion entre les sexes. La peur de la confusion fut l'argument principal pour repousser l'échéance de l'égalité entre sexes, pour refuser la participation des femmes à la chose publique. La démocratie fut exclusive, avant d'être inclusive.

Il serait stupide de se moquer des hommes de la Révolution et des années 1800. Leur souci de maintenir l'altérité des sexes pour sauvegarder l'amour relevait d'une peur logique autant qu'existentielle : que devient la différence, si les insignes de la similitude doivent l'emporter dans la vie sociale ? La question était importante, même si l'angoisse qui allait avec était disproportionnée. La peur était logique, et elle a marqué l'histoire qui a suivi : le néologisme « féminisme » rend bien compte de la profondeur de la peur ; le féminisme, à la fin du second Empire, commence par désigner l'arrêt de développement d'un jeune garçon atteint de tuberculose, puis, quelques années plus tard, la masculinité de la militante pour le droit des femmes. Terme médical, puis politique, le féminisme désigne un sexe dans l'autre, la féminisation du masculin ou la masculinisation du féminin. S'il n'y a pas confusion, il y a mélange. Que devient alors l'altérité ?

Il y a toujours des auteurs pour rappeler l'importance structurante de la différence, pour invoquer l'ordre symbolique d'une société fondée nécessairement sur le même et l'autre. On pourrait évoquer, à ce propos, l'essor des sciences humaines au xxe s. comme autant de tentatives pour se garder du mélange des sexes. On pourrait aussi souligner la rupture opérée autour des années 1900 entre les sexes réels, l'homme et la femme, et leurs qualités, le masculin et le féminin, et montrer comment la dissociation des êtres et des qualités a permis que le même et l'autre gardent leurs places respectives tout en jouant de leur définition sexuelle. Les êtres humains sont sexués, mais rien n'est préjugé de leur identité masculine ou féminine, mélange toujours improbable, aléatoire, singulier. La psychanalyse et l'anthropologie ont eu là un rôle historique prépondérant, dans la mesure où elles ont cherché à la fois à maintenir la pensée de l'ordre symbolique et à assouplir les assignations à des places. La psychanalyse a formalisé les itinéraires sexuels de chaque sexe, mais dans le même temps introduit le schème de la bisexualité et de la variation masculin-féminin. L'anthropologie a permis l'analyse des sociétés fondées sur la domination masculine et sur l'échange des femmes, mais aussi celle des pouvoirs des femmes et des transgressions possibles. Dans les deux cas, ces sciences cherchent l'invariant et son contraire, la structure et, malgré tout, la place du sujet ou de l'individu.

Le schéma structurel de la différence des sexes tel qu'il est pensé par les sciences humaines du xxe s. est moins contraignant que dans les siècles précédents, puisqu'il ne suppose plus une différence sexuelle de contenu. Précisément parce qu'il s'agit désormais de différence des sexes, et non de différence sexuelle. En effet, la différence sexuelle suppose qu'on connaît la définition de la différence, son contenu ; différence des sexes, au contraire, ne présuppose aucun contenu. C'est dire que ces sciences sont parties de l'empiricité de la différence entre deux sexes ; c'est reconnaître aussi qu'elles se souciaient alors d'établir la différence, et non simplement de la supposer donnée. Mais l'idée principale est qu'elles étaient des sciences, établissant ainsi un savoir adossé à une opposition signifiante, celle de la nature et de la société, du donné empirique et du construit humain.

La question politique de l'émancipation des femmes a entériné ce schéma en le détournant, désignant le poids du social comme déterminant, dénonçant la nature comme un argument d'oppression, utilisant l'opposition nature-culture pour appeler à la subversion de l'une et de l'autre. En cela, la politique féministe a engendré bien autre chose qu'un argumentaire, elle a interpellé l'histoire à laquelle les femmes ne semblaient pas avoir été conviées. Avec la naissance de la démocratie, les femmes ont, depuis deux siècles, imposé collectivement leur participation à l'histoire. À travers cette tentative, plutôt neuve en Occident, le jeu du même et de l'autre était nécessairement malmené. Le néologisme « féminisme » et la peur de la confusion des sexes évoqués plus haut en témoignent.

Curieusement, comme en duplication de l'opposition nature-culture, le débat s'est cristallisé autour d'une opposition sémantique étrange, celle de la différence face à l'égalité, celle du fait biologique de la différence face à l'égalité sociale et politique des sexes. Or, la différence est un concept relevant de l'ontologique ; l'égalité est un concept propre à la politique. Il semble, par conséquent, nécessaire de récuser cette opposition bancale, d'autant que les termes alors se multiplient. La différence retrouve son vis-à-vis avec l'identité, la similitude. L'égalité (citoyenneté, éducation) qui correspond si bien à la reconnaissance entre semblables, hommes et femmes, se double d'un autre concept politique, celui de liberté, qui marque en général le droit du corps (avortement, refus du viol). Ainsi, au niveau ontologique, la différence fait face à l'identité ; au niveau politique, l'égalité se place à côté de la liberté. Le plus souvent, l'égalité se pense à partir de la similitude (la citoyenneté se fonde sur notre raison, la même pour les hommes et pour les femmes). Et la liberté renvoie à la différence des corps (la contraception est une forme d'habeas corpus). Mais, bien sûr, tout est plus compliqué ; il suffit de voir que l'activité professionnelle, le travail, l'emploi est autant une affaire d'égalité entre les sexes que de liberté individuelle. Reste qu'il y a bien quatre termes, égalité, liberté, différence, identité, et non pas deux, égalité, différence.

Alors l'altérité des sexes paraît loin du jeu statique du même et de l'autre, même si la dynamique politique de domination et de libération oblige à reconnaître une opposition collective ponctuelle ou événementielle ; telle est l'histoire du féminisme. À reprendre la distinction entre les êtres et les qualités, à séparer les concepts ontologiques et les concepts politiques, on en vient à rendre très mobile l'altérité entre les sexes. Mais cet adjectif « mobile » est beaucoup trop vague. On pourrait plutôt résumer ainsi la réponse à la question posée, en deux phrases : l'altérité des sexes relève de l'aporie ; la différence des sexes est une catégorie philosophique vide.

Geneviève Fraisse