optimisme
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Dérivé du latin optimus, « meilleur », le mot a été utilisé pour la première fois en 1737 par les jésuites de Trévoux, dans les Mémoires pour l'histoire des sciences et des beaux-arts, pour caractériser la doctrine de Leibniz.
Philosophie Générale
S'il désignait primitivement le système leibnizien, l'optimisme est devenu au cours du xviiie s. un terme générique s'appliquant à toute doctrine déclarant notre monde bon (Pope) ou le meilleur possible. C'est à la fin du xviiie s. que le mot a pris son sens courant pour signifier l'attitude de celui qui voit en général le bon côté des choses et attend des événements qu'ils tournent bien.
L'« optimisme » de Leibniz ne consiste pas à nier l'existence du mal, mais à montrer a priori que Dieu, parce qu'il est suprêmement sage et bon, n'a pu manquer de créer le meilleur monde possible. Notre univers est le plus parfait possible physiquement, parce qu'il contient la série de choses la plus riche et la plus variée, et moralement, parce que dispensant aux esprits le plus de bonheur possible, il est la parfaite république dont Dieu est le monarque. Puisqu'il a été établi a priori que Dieu choisit toujours le meilleur, on doit juger a posteriori (du fait que c'est notre monde qu'il a créé parmi une infinité d'autres possibles) qu'un monde sans mal aurait été moins parfait. Si le tout de notre univers est le meilleur possible, chaque partie ne l'est pas forcément. L'optimum définit donc un rapport qui n'est pas quantitatif (la beauté et la bonté du tout ne vient pas de ce que toutes ses parties sont belles et bonnes), mais qualitatif : « les ombres rehaussent les couleurs et même une dissonance placée où il faut donne du relief à l'harmonie »(1). La théodicée (à la fois doctrine de la justice divine et justification de Dieu) ne masque pas l'existence du mal, mais montre sa relation au bien qu'il fait valoir dans une harmonie générale qui suppose différences, contrastes et compensations.
De l'optimisme théorique à l'optimisme pratique
Plus que la doctrine de Leibniz, c'est donc celle de l'Anglais Pope – pour lequel « Tout ce qui est, est bien »(2), le bien n'étant pas seulement dans le tout, mais aussi dans chacune des parties – qui est visée par Voltaire dans le Poème sur le désastre de Lisbonne (1756) et Candide (1759). L'intention de Voltaire – d'abord acquis à la thèse leibnizienne dans Zadig ou la destinée (1747) – est de montrer ce qu'un tel optimisme a d'excessif, de « fanatique », d'inadéquat au vu des souffrances et des injustices des hommes : « Qu'est-ce qu'optimisme ? disait Cacambo. – Hélas ! dit Candide, c'est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal »(3). Le « sage » défendra un optimisme relatif : sans nier la Providence, il admettra son impuissance à concilier la bonté de Dieu avec l'expérience douloureuse du mal.
Répondant au poème de Voltaire, Rousseau précise que ni Leibniz ni Pope ne nient l'existence du mal particulier dont souffre l'homme : c'est « le mal général [celui du tout] que nie l'optimiste »(4). Dieu a égard à l'ensemble de l'univers et peut bien « sacrifier quelque chose du bonheur des individus à la conservation du tout ». Ainsi, « au lieu de Tout est bien, il vaudrait peut-être mieux dire : Le tout est bien, ou Tout est bien pour le tout ».
Mais l'optimisme peut-il être légitimement démontré à partir de la considération de Dieu et du tout ? Notre raison ne peut prétendre juger du tout de l'univers et des fins de Dieu, mais doit, écrit Kant, « reconnaître les bornes qui s'imposent nécessairement à nos investigations sur un terrain placé au-dessus de notre portée »(5). Est-ce à dire que tout optimisme est ruiné ? Si la raison spéculative ne peut fonder l'optimisme, la raison pratique commande d'agir comme s'il était prouvé que l'univers dans son ensemble progresse sans cesse vers le mieux. À moins d'avoir prouvé que tout progrès véritable de l'homme est impossible, cette croyance en la perfectibilité de l'espèce humaine est en effet un devoir : « le devoir inné de chaque membre de la suite des générations [...] à agir sur ses successeurs d'une manière telle qu'ils s'améliorent »(6). À l'impossible optimisme théorique, il faut substituer un optimisme pratique auquel on ne peut renoncer sans renoncer à « un dessein moral qui est un devoir » : le parfait accomplissement de l'homme.
Paul Rateau
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Leibniz, G.W., Théodicée, Garnier-Flammarion, Paris, 1969, § 10, p. 109, et § 12, p. 110.
- 2 ↑ Pope, A., Essai sur l'homme, I, 10, G. Michaud, Paris, 1821, p. 33.
- 3 ↑ Voltaire, Candide ou l'optimisme, chap. 19, Garnier, Paris, 1958, p. 183.
- 4 ↑ Rousseau, J.-J., Lettre à Voltaire (18 août 1756), in Œuvres complètes, t. 2, Seuil, Paris, 1971, p. 320.
- 5 ↑ Kant, E., Sur l'insuccès de tous les essais philosophiques de théodicée, Vrin, Paris, 1972, p. 204.
- 6 ↑ Kant, E., Sur le lieu commun : il se peut que cela soit juste en théorie, mais en pratique, cela ne vaut rien, Garnier-Flammarion, Paris, 1994, pp. 87-88.
