pessimisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin pessimus, superl. de malus.


Concept central chez Schopenhauer, vigoureusement infléchi par Nietzsche. Le concept garde encore une valeur opératoire.

Éthique, Métaphysique, Psychologie

1. Au sens ordinaire, état psychologique qui porte à ne voir que le mauvais côté des choses, à tout mettre au pire (pessimum). – 2. Au sens philosophique, doctrine de Schopenhauer, qui donne à cet état psychologique une justification métaphysique.

Schopenhauer montre qu'une Volonté aveugle et sans but est au principe de toute chose, engendrant désir et souffrance. Alors que l'optimisme, tout en reconnaissant la souffrance et la finitude humaine, les justifie en leur conférant un sens positif, le pessimisme, à l'encontre de toute perspective théologique ou téléologique, établit que la souffrance humaine est dépourvue de sens, et par conséquent injustifiable. Le pessimisme n'est donc pas tant une protestation devant la souffrance que devant son absurdité.

Le terme de pessimisme apparaît en 1759 dans l'Observateur littéraire, l'année où paraît Candide ou l'optimisme de Voltaire. Il qualifie une « disposition à voir le mauvais côté des choses »(1), disposition contraire à celle engagée par la philosophie optimiste de Leibniz. Au xviiie s., le terme de pessimisme sert essentiellement à désigner une disposition psychologique. Ainsi Lichtenberg rattache-t-il le pessimisme et l'optimisme, comme états psychologiques, à deux formes distinctes du système affectif et pulsionnel(2).

L'approche schopenhauerienne

Schopenhauer, le premier, justifie métaphysiquement le pessimisme comme état psychologique. Sa philosophie, comme « fondation systématique du pessimisme »(3), conjugue deux thèses : 1) la souffrance de l'individu, condamné à désirer sans pouvoir réaliser ses désirs ; 2) l'absurdité de cette souffrance, une fois établi que le monde n'est pas l'expression d'un projet divin mais d'une Volonté aveugle, qui veut sans fin à travers chaque étant du monde. Trois voies sont proposées pour libérer l'homme : la contemplation esthétique, qui suspend la Volonté en tant qu'elle est désintéressée ; la compassion et l'aide apportée à autrui, qui permet d'échapper au vouloir égoïste ; l'ascèse enfin, comme « mortification de la Volonté »(4).

Le thème schopenhauerien de l'absurdité de l'existence, qui inspirera de nombreux écrivains, est repris à la fin du siècle dans un certain nombre de traités de philosophie populaires, comme le Pessimistenbrevier de J. Bahnsen (1880) qui remet en cause la vision finaliste et optimiste de l'Histoire, ainsi que les espoirs nourris par le sentiment religieux. Le pessimisme schopenhauerien suscite également une réflexion morale critique à l'égard du christianisme. E. von Hartmann loue Schopenhauer d'avoir purifié l'action morale de l'espoir de l'immortalité et du paradis auquel la relie la morale chrétienne(5).

L'élément important pour l'évolution du concept de pessimisme est l'entreprise consistant à l'inscrire dans une tradition philosophique ancienne. Schopenhauer avait décelé dans le bouddhisme les traits essentiels de son pessimisme (le désir ou « la soif » comme source universelle de la souffrance, la compassion et l'extinction du vouloir-vivre comme remèdes à cette souffrance). Nietzsche, pour sa part, trouve une autre origine et une autre signification au pessimisme.

L'approche nietzschéenne

Louant chez les Grecs leur capacité à surmonter le tragique et l'absurdité de l'existence par la création artistique et littéraire, Nietzsche est conduit à distinguer nettement le « pessimisme moderne » (celui de Schopenhauer et de certains romantiques) du « pessimisme classique » des anciens Grecs.

Il entend substituer au pessimisme moderne le « pessimisme dyonisiaque », le « pessimisme des forts », « symptôme d'une culture supérieure », qui encourage, par le biais de la création artistique, l'affirmation joyeuse des forces vitales, non leur extinction : « [...] la connaissance tragique, pour être supportée, nécessite la protection et le secours de l'art »(6). La vision pessimiste coïncide ainsi avec la vision tragique du monde, qui assigne à l'homme la tâche de rendre l'existence terrestre supportable par l'affirmation de sa puissance créatrice.

L'approche contemporaine

M. Horkheimer reprend certains traits du pessimisme schopenhauerien. Il souligne qu'après la faillite des idéologies qui voulaient le bien de l'humanité, il convient de partir non d'un idéal projeté, mais de « l'universalité du mal », pour l'atténuer progressivement et « améliorer le possible »(7). Le pessimisme survit ici à travers l'idée que le bien, essentiellement, consiste en la suppression du mal, seule réalité positive.

C. Rosset pour sa part exploite la version nietzschéenne du pessimisme, en développant le lien au premier abord paradoxal entre la vision pessimiste ou tragique du monde et l'expérience de la joie : « la source de la joie est le pessimisme »(8).

Nicolas Bouriau

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Wartburg, W., (von), Französische Etymologie, Basel, 1958, p. 308.
  • 2 ↑ Lichtenberg, Sudelbücher, éd. F. H. Mautner (1983), p. 495.
  • 3 ↑ Schopenhauer, A., le Monde comme volonté et comme représentation, éd. Frauenstädt, t. 3, p. 671.
  • 4 ↑ Ibid., p. 463.
  • 5 ↑ Hartmann, E., (von), Zur Geschichte und Begründung des Pessimismus, 1891, p. 124.
  • 6 ↑ Nietzsche, F., la Naissance de la tragédie ou hellénisme et pessimisme, § 15.
  • 7 ↑ Horkheimer, M., « Pessimismus heute », Schopenhauer Jahrbuch, no 52, 1971, p. 3.
  • 8 ↑ Rosset, C., la Philosophie tragique, PUF, Quadrige, Paris, 1991, p. 50.

→ nihilisme, optimisme