théodicée

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec theos, « dieu », et dikè, « justice ».


Terme inventé par Leibniz dans ses Essais de théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l'homme et l'origine du mal (1710), en réponse à des objections de Bayle, dont il craignait qu'elles ne favorisent l'athéisme, le dualisme ou un fidéisme opposé à la rationalité divine. Mais c'est un problème plus ancien, et central dans l'histoire de la philosophie.

Métaphysique, Philosophie de la Religion, Morale

Justification de la possible conjonction entre la puissance, la bonté et l'intelligence de Dieu, par la réfutation des arguments tirés de l'existence du mal.

Platon, déjà, s'opposait à une physique du hasard autant qu'à une vision tragique de la nécessité, et proposait, dans ses Lois, l'idée d'une économie des lois divines visant un monde gouverné par le Bien. Saint Augustin, ajoutant l'idée d'un Créateur tout-puissant (ce que n'est pas le démiurge platonicien) et d'un homme libre et pécheur, soutient contre les gnostiques que le monde est bon, même s'il n'est pas parfait (il est fini et corruptible) et que Dieu a préféré un monde où le mal soit possible, parce qu'il contribue finalement au bien : la liberté de faire le mal est inséparable de la libre reconnaissance de la grâce divine(1). Descartes maintient cette idée d'un Dieu transcendant et incompréhensible, mais qui crée librement les vérités éternelles (il est tout-puissant et vérace, et l'entendement en lui ne se sépare pas de la volonté).

Par contre, Malebranche et Leibniz adoptent la thèse selon laquelle les vérités sont incréées et s'imposent aussi à l'entendement divin ; chez le premier, en affirmant surtout la simplicité des voies de la puissance de Dieu ; chez le second, en affirmant surtout la richesse des effets obtenus par ces voies naturelles (richesse qui permet de dire que Dieu a choisi le meilleur des mondes possibles). L'occasionalisme de Malebranche marque davantage la discontinuité de la nature et de la grâce, et une vision désenchantée de la nature, que nous pouvons améliorer(2). Alors que Leibniz prépare davantage la forme allemande de l'Aufklärung, plus optimiste. Son intelligence, qui montre, dans la Monadologie, comment tous les êtres cherchent à déployer le plus possible leur singularité tout en restant dans les limites du compossible, se heurte ici à la sagesse pessimiste de Bayle, qui voit dans l'histoire les humains malheureux et méchants, et préfère un Dieu incompréhensible à la possibilité d'imaginer une place d'où tout serait justifié. Bayle réfutait ainsi toute théologie rationnelle(3).

Avec Kant, qui critique toute théodicée(4), cette dissociation entre le plan théorique et le plan pratique est consommée : on ne sait pas si Dieu existe ni s'il a choisi le meilleur des mondes, mais l'humain doit obéir à la Loi inconditionnée, tout en espérant la réunion du monde physique et du monde moral (union dont on voit peut-être des signes dans la nature, l'art ou l'histoire). Par contre, à la suite de Wolff, on a souvent réduit la théologie naturelle ou rationnelle à la théodicée (l'école éclectique dans la France du xixe s.) ; et, de même que la philosophie a critiqué cette ontothéologie (Heidegger), la théologie existentielle (Kierkegaard, Barth, Bultmann) a refusé toute théologie naturelle.

La dialectique hégélienne est peut-être la dernière tentative de penser une théodicée, la ruse de l'histoire pouvant tirer un mal d'un bien. Mais il reste aussi quelque chose du projet de Leibniz chez un penseur comme W. Monod (le Problème du bien) ou dans l'entreprise d'A. N. Whitehead (et la théologie du process). On a pu dire que ces « grands récits » se sont brisés, et la Shoah a rouvert autrement la querelle de la théodicée, avec des penseurs juifs qui s'en prennent non seulement à la philosophie classique de la nature et de l'histoire, mais à l'idée classique du Dieu de l'alliance(5).

Olivier Abel

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Maritain, J., Dieu et la permission du mal, 1964.
  • 2 ↑ Malebranche, N., Traité de la nature et de la grâce, 1680.
  • 3 ↑ Jossua, J.-P., Pierre Bayle ou l'obsession du mal, 1977.
  • 4 ↑ Kant, E., Sur l'insuccès de toutes les tentatives philosophiques en matière de théodicée, 1791.
  • 5 ↑ Greenberg, I., la Nuée et le Feu (1977), Le Cerf, Paris, 2000.

→ destin, mal, providence