non-être

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Philosophie Générale, Métaphysique

Ce qui n'est pas.

Parce qu'il n'est pas, Parménide affirme qu'il ne faut pas introduire le non-être dans l'être : « On ne pourra jamais par la force prouver / Que le non-être a l'être. Écarte ta pensée / De cette fausse voie qui s'ouvre à ta recherche »(1). Tenter de penser le non-être risque de ruiner toute forme d'ontologie, car parler de l'être du non-être, alors que les deux notions sont contradictoires, empêche la constitution du discours. En portant son discours sur le non-être, Gorgias(2) est entraîné sur la voie du relativisme, qui ne permet plus de parler ni de l'être, ni du non-être. Or, la mise en garde parménidienne n'est pas suivie par Platon, qui introduit le non-être au sein de l'être, en affirmant que le « non-être est sous un certain rapport »(3). Il introduit le non-être au sein de l'être afin de réfuter la thèse de l'unité de l'être, et permettre la pensée de l'altérité, c'est-à-dire de la relation. Aristote(4) remarque tout à la fois le danger de cette pensée du non-être, mais aussi le fait qu'elle soit totalement inutile : la relation n'est pas un certain rapport au non-être, mais est au contraire un des genres de l'être, une catégorie. L'erreur de Platon est d'avoir cru que ce qui se différencie de l'être est le non-être, alors qu'il s'agit simplement de l'être en un autre sens. Cette thèse n'est cependant pas réellement différente de celle de Platon, puisqu'il s'agissait bien de poser le non-être dans la relation à l'être, et non de l'introduire pour lui-même. En fait, Aristote reproche surtout aux platoniciens de ne pas avoir établi de véritable théorie de la signification, c'est à dire de n'avoir pas produit une ontologie qui soit une ousiologie catégoriale, et de ne pas avoir compris le statut de la négation. Le non-être n'est en rien une négation de l'être, il n'est rien d'autre que la désignation d'une opposition, un nom indéfini, comme « non-homme » ; « ce n'est ni un discours, ni une négation [...] car il appartient pareillement à n'importe quoi, à ce qui est et à ce qui n'est pas »(5). La négation dans l'indéfini « non-être » n'est rien d'autre qu'une différenciation, et ne peut être de ce fait une négation, cette dernière n'existant que dans le cadre des propositions(6). « Non-être » est donc une expression contradictoire, étant et n'étant pas un nom : en un sens, elle signifie bien quelque chose, mais elle renvoie à un indéfini dans la pensée, comme « bouc-cerf », alors que le nom véritable se constitue avec le sens, c'est-à-dire le fait de renvoyer à un état de l'âme.

La notion de non-être réapparaît néanmoins dans la philosophie aristotélicienne, dans l'étude des différents types de mouvement. Le mouvement selon la catégorie de la « substance » (ousia), qui est génération et corruption(7), pose un problème, puisqu'il suppose le passage de l'être au non-être et du non-être à l'être. Comme le non-être ne peut être en un sens absolu, il faut plutôt dire, par exemple dans le cas de la corruption, qu'il y a disparition d'une ousia (l'homme qui meurt) et génération d'une autre (le cadavre). Cependant, comme le mouvement se produit entre les contraires au sein d'un genre, la question est alors de savoir s'il s'agit encore là d'un mouvement.

Il faut distinguer la question du non-être de celle du « néant », ainsi que de celle du « rien ». Si Sartre considère qu'il peut y avoir une action propre du néant (néantisation), celle-ci ne recoupe pas le thème du non-être. De même, l'idée de création ex nihilo peut poser problème, puisqu'il n'y a rien avant la création, bien qu'il y ait de l'être, celui de Dieu.

Didier Ottaviani

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Parménide, frag. VII, trad. J.-P. Dumont, in Les écoles présocratiques, Gallimard, Folio, Paris, 1991, p. 350.
  • 2 ↑ Gorgias, Traité du non-être, cité par Sextus Empiricus, Contre les mathématiciens, VII, 65-87, in Les écoles présocratiques, op. cit., pp. 701-705.
  • 3 ↑ Platon, Sophiste, 241 d, trad. N. L. Cordero, Flammarion, Paris, 1993.
  • 4 ↑ Aristote, Métaphysique, N, 2, trad. J. Tricot, Vrin, Paris, 1986, t. 2, pp. 805-814. Cf. Aubenque, P., Le problème de l'être chez Aristote, PUF, Quadrige, Paris, 1991, pp. 151 sqq.
  • 5 ↑ Aristote, De l'interprétation, 2, 16a31-33, trad. J. Tricot, Vrin, Paris, 1994, p. 80.
  • 6 ↑ Aristote, ibid., 6, pp. 86-87.
  • 7 ↑ Cette question, qui reste très problématique chez Aristote, est traitée dans De la génération et de la corruption, I, 3, trad. J. Tricot, Vrin, Paris, 1989, pp. 23-37.

→ être, néantisation, négation, ontologie