inconscient

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


En allemand : unbewusst, das Unbewusste, « in-conscient ».

Philosophie Générale, Psychologie

1. Négativement ce qui en l'homme échappe à la pensée consciente ou rationnelle. – 2. Positivement une fonction psychique déterminant souterrainement l'économie du désir.

Que le mot n'apparaisse que tardivement n'interdit pas de parler d'un problème philosophique de l'inconscient avant Freud. Les « petites perceptions » admises par Leibniz(1), ou les « représentations obscures » dont Kant affirme qu'elles recouvrent la plus large part de nos intuitions et sensations(2), signalent bien plus qu'un problème d'intensité ou de clarté de la perception : ce qui est en jeu philosophiquement, c'est l'existence en nous d'un domaine psychique échappant à l'emprise de la raison, non pas tant du point de vue psychologique d'une partition de l'âme humaine que d'un point de vue métaphysique (pour lequel la distinction entre les deux définitions prend toute son importance).

En effet, accorder l'existence d'une fonction psychique positive et efficace, susceptible de déterminer la volonté autant ou plus que ne le fait la conscience, c'est ruiner la métaphysique du sujet (comment puis-je me définir comme substance pensante si ma pensée est discontinue ? Il faut, comme Descartes, distinguer la pensée, qui m'est consubstantielle, et la mémoire que j'en ai, qui peut faillir(3)). C'est aussi contredire l'idée de liberté comme responsabilité et autonomie, dans la mesure où des actes inconscients ne peuvent être imputés à un auteur : pour sauver la volonté libre mis en doute par l'inconscient(4), il faut recourir à des concepts comme la mauvaise foi(5). La thèse de Sartre partage avec celle de Descartes le refus de toute positivité des manifestations de l'inconscient, ramenées à un défaut de la mémoire.

Isoler un noyau métaphysique de la question de l'inconscient n'autorise toutefois pas à considérer comme infra-philosophique la question des psychologues : Platon montre que déterminer la place des désirs irrationnels en nous met en jeu la nature de l'âme.

Sébastien Bauer

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Leibniz, G.W., Nouveaux essais sur l'entendement humain, préface, 1703, édition française 1966, Paris, Garnier Flammarion.
  • 2 ↑ Kant, E., Anthropologie d'un point de vue pragmatique, 1ère partie, § 5, trad P. Jalabert 1986, in Œuvres philosophiques, NRF, Paris.
  • 3 ↑ Descartes, B., Méditations métaphysiques, méditation 1ère Éd. 1992, GF-Flammarion, Paris.
  • 4 ↑ Nietzsche, F., Par-delà bien et mal, § 19, trad. P. Wotling 2000, Flammarion, Paris.
  • 5 ↑ Sartre, J.P., L'Être et le Néant, I, 2, a. Paris, Gallimard, TEL, 1976.
  • Voir aussi : Vaysse, J.M., L'inconscient des modernes, 1999, NRF Gallimard, Paris.

→ âme, conscience, liberté, moi

Psychanalyse

Notion topique et dynamique qui démontre que « l'essence du psychique » ne se situe pas dans la « conscience »(1). Comme tel, objet de l'étude psychanalytique. Il désigne d'abord un lieu psychique (lcs), dont les contenus sont soumis à une force, le refoulement, qui les rend inaccessibles, puis une qualité (ics) des instances et des processus psychiques. Il a pour propriété de ne connaître que le principe de plaisir, et par conséquent d'ignorer la négation, le doute et le temps (processus primaire) : la pensée y vaut l'acte.

Notion commune au xixe s., promue notamment par Herbart et Hartmann, le terme n'apparaît chez Freud qu'une fois acquise l'intelligibilité dynamique du processus par lequel des représentations sont soustraites au champ de la conscience (théorie du trauma infantile et de l'après-coup). L'étude des psychonévroses de défense, qui révèle l'existence de « groupes psychiques séparés »(2), participe de cette mise au jour de l'inconscient. Des formations locales, symptômes, phobies, obsessions, etc., mais aussi lapsus, actes manques, rêves, etc., sont déterminées par des représentations inaccessibles, mais efficientes. Elles sont l'expression (formation de compromis) de souhaits inconscients ou refoulés, qui s'efforcent inlassablement d'atteindre à la conscience. Les contenus de l'inconscient se composent de traces phylogénétiques héréditaires (fantasmes originaires), du refoulé originaire et des représentations liées à la vie sexuelle infantile refoulée ; ils sont un pôle d'attraction pour les représentations qui seront ultérieurement refoulées. Dans la seconde conception topique de la personnalité psychique, le ça inclut l'inconscient et hérite de ses propriétés. Le moi et le sur-moi sont, dans leur plus grande partie, inconscients, comme le montrent la résistance dans la cure, le sentiment de culpabilité et les conflits entre instances.

La découverte de l'inconscient dynamique est certes la troisième blessure narcissique infligée à l'humanité, après celles de Copernic et de Darwin, mais elle révoque aussi en doute la distinction normal-pathologique et la dichotomie corps-âme. Elle démontre enfin l'ubiquité de la sexualité dans les processus psychiques humains – les plus abstraits compris.

Christian Michel

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Freud, S., Das Ich und das Es (1923), G.W. XIII, le Moi et le ça, OCF.P XVI, PUF, Paris, p. 258.
  • 2 ↑ Freud, S., Studien über Hysterie (1895), G.W. I, Études sur l'hystérie, PUF, Paris, p. 96.

→ acte, ça, dynamique, fantasme, moi, origine, principe, processus primaire et secondaire, refoulement, surmoi, topique




inconscient cérébral

Psychologie

Ensemble des manifestations réflexes (c'est-à-dire ni conscientes ni volontaires) qui, au xixe s., enracinent la vie mentale dans le cerveau et lui imposent une rationalité neurologique.

Portée par l'extension du matérialisme réflexologique de la neurologie à la psychologie, l'expression « cérébration inconsciente » (plus qu'« inconscient cérébral ») apparaît chez T. Laycock et W. Carpenter en Angleterre et se systématise chez J. Luys. L'arc réflexe, dans une perspective darwinienne, évolue graduellement, et le cerveau humain est conçu comme un détour infiniment complexe entre input perceptif et output moteur. La volonté apparaît alors comme un système de contrôle biologiquement intégré à la décharge motrice, et perd sa transcendance. Cet étagement, dont la conscience est l'ultime niveau, a inspiré Jackson, Freud, et même le cognitivisme.

M. Gauchet y a vu l'individualisation biologique de « l'asservissement intérieur » qui est la rançon de l'émancipation politique de l'individu moderne, à cause de la déspiritualisation de la volonté qu'implique la notion.

Pierre-Henri Castel

Notes bibliographiques

  • Gauchet, M., L'inconscient cérébral, Paris, 1992.

→ réflexe




inconscient cognitif

Psychologie, Philosophie Cognitive

Ensemble des processus non conscients inférés à partir de performances cognitives observables, et qui sont considérés, au moins par destination, comme mentaux.

L'idée d'inconscient cognitif vise à démarquer la nécessité d'inférer des processus mentaux non conscients en psychologie expérimentale de l'usage psychanalytique du concept d'inconscient. Dans l'inconscient cognitif, ni conflit, ni privilège du désir, ni représentations refoulées. Les observables qui lui servent de prémisses ne sont pas pathologiques. Cependant, dans la perception, ou le langage, le traitement computationnel de l'information implique des opérations intelligentes qui ne peuvent faire l'objet de comptes rendus introspectif : par exemple, les transformations qui permettent de passiver une phrase à l'actif. Sans être des actes mentaux donateurs de sens, des opérations de ce type sont conçues autant comme des règles que comme des mécanismes. Elles occupent une place intermédiaire entre cognitions et activations cérébrales. S'ils participent causalement à la genèse de totalités sémantiques de haut niveau, la question se pose enfin de la cohérence entre eux des divers processus cognitifs inconscients.

Pierre-Henri Castel

Notes bibliographiques

  • Reber, A. S., Implicit Learning and Tacit Knowledge : An Essay on the Cognitive Unconscious, Oxford University Press, Oxford, 1993.

→ règle