drame

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec dorien drama, signifiant « action » ; terme dont l'imprécision ne rend qu'imparfaitement compte de l'extrême diversité des éléments qu'il recouvre, tant dans le domaine de la poétique dramatique que dans celui de son histoire et de ses implications esthétiques et éthiques.

Esthétique

Dans un sens général, toute pièce de théâtre ou, dans un sens plus restreint, un genre théâtral de nature grave et pathétique ; par extension, une suite d'événements terribles et émouvants.

D'Aristote(1) qui, dans sa Poétique, utilise plusieurs fois le terme dans le sens d'action théâtrale, à Hegel(2) qui, dans son Esthétique, donne un rôle majeur à la poésie dramatique, le terme prend, à la suite de l'adjectif dramatique, et à quelques variations près, une valeur générique qui, dans une relation dialectique, désigne toute action théâtrale provoquée par une série de conflits au terme desquels se présente une résolution finale.

À partir du xviiie s., en France, l'appellation « drame » désigne plus précisément la tentative nouvelle d'imposer, sous l'impulsion essentiellement de Diderot, une troisième voie entre tragédie et comédie : le genre sérieux, appelé plus tard « drame bourgeois » parce que traitant de l'univers social. Le renouveau théâtral du xixe s., avec le mélodrame et le drame romantique, se rallie à cet élan créateur qui refuse de s'enfermer dans l'alternative de la transcendance tragique ou de la trivialité comique, mais qui cherche, en inscrivant l'une et l'autre dans l'histoire, à croiser leurs portées respectives, changées en « sublime » et en « grotesque ». Une telle démarche suppose, comme chez V. Hugo, une réflexion globalisante d'ordre ontologique et téléologique, qui sous-tend l'ensemble dans la recherche de la liberté d'agir : « Du jour où le christianisme a dit à l'homme : “Tu es double, tu es composé de deux êtres, l'un périssable, l'autre immortel, l'un charnel, l'autre éthéré (...)” ; de ce jour là le drame a été créé. »(3) Idée force d'un theatrum mundi que Gouhier(4) résume dans la formule : « Tragédie et drame sont les deux bras de la Croix. »

Jusqu'à la fin du xixe s. chez les symbolistes, qui accentuèrent scéniquement la portée spirituelle de l'acte, puis enfin chez Claudel, l'esthétique du drame finit par transcender l'histoire et par s'approcher au plus près de cette utopie du « drame total », du « théâtre idéal que tout homme a dans l'esprit » (Hugo), recherchée de tous car devenue métaphore de notre présence au monde, de l'intensité de nos sentiments et de notre liberté face à la mort. À la suite de la première représentation du Soulier de satin, Claudel écrivait ainsi : « Le drame ne fait que détacher, dessiner, compléter, illustrer, imposer, installer dans le domaine du général et du paradigme l'événement, la péripétie, le conflit essentiel et central qui fait le fond de toute vie humaine. Il transforme en acte pour aboutir à une conclusion une certaine potentialité contradictoire de forces en présence »(5).

L'acte dramatique, tel que l'entendait liminairement Aristote, semble avoir ainsi trouvé son accomplissement dans une forme dont l'épanouissement atteste aussi l'épuisement. En effet, les pratiques théâtrales d'aujourd'hui éludent le drame, le mot autant que la chose. La critique, dans le sillage de P. Szondi(6), continue néanmoins d'utiliser le terme, l'enrichissant d'une portée nouvelle pour marquer le ressourcement du théâtre mais aussi ses apories, au-delà desquelles l'écriture dramatique reste, malgré tout, le lieu privilégié d'un agon, d'un affrontement.

Jean-Marie Thomasseau

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, Poétique, trad. R. Dupont-Roc et J. Lallot, Seuil, Paris, 1980.
  • 2 ↑ Hegel, G. W. F., Esthétique (1818-1829), 3e partie, 3e section, chap. III C, trad. Bénard revue, t. II, le Livre de Poche, Paris, 1997.
  • 3 ↑ Hugo, V., Préface de Cromwell, éd. A. Ubersfeld, Flammarion, Paris, 1968.
  • 4 ↑ Gouhier, H., le Théâtre et l'existence, Vrin, Paris, 1973.
  • 5 ↑ Claudel, P., Mes idées sur le théâtre, Gallimard, Paris, 1966.
  • 6 ↑ Szondi, P., Théorie du drame moderne, trad. P. Pavis, L'Âge d'Homme, Lausanne, 1983.

→ laideur, opéra, tragédie