averroïsme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Philosophie Médiévale

Doctrine du philosophe arabe ibn Rushd (1126-1198), nommé Averroès en latin.

Philosophe et médecin né à Cordoue, Averroès a commenté tout Aristote, sauf la Politique, et a tenté de restituer la pensée du Stagirite par-delà l'interprétation néoplatonicienne et émanatiste d'Avicenne. Le courant latin que l'on a pu nommer « averroïsme », de même que « l'avicennisme », n'est pas clairement identifiable ; il n'est pas tant caractérisé par sa fidélité aux commentaires d'ibn Rushd que par la permanence d'un projet visant à comprendre l'authentique doctrine aristotélicienne. Pour cette raison, le nom d'aristotélisme « total » ou « intégral » conviendrait mieux(1). Bien que la pensée d'Averroès ne se limite pas à cela, l'« averroïsme » a pu être identifié à partir de deux thématiques particulières : celle de l'éternité du monde et celle que Leibniz définit, parlant des « averroïstes », comme un « monopsychisme »(2). Reprenant la question de l'intellect chez Aristote, Averroès distingue d'une part l'âme sensitive (corruptible), individuelle, qui permet la connaissance humaine par le biais de l'imagination et caractérisée par un intellect passible ; d'autre part, l'intellect (incorruptible) « matériel » ou « possible », non substantiellement séparé de l'intellect agent, et qui est commun à l'ensemble des hommes(3). Cependant, « Nul philosophe n'aura été plus mal compris ni plus calomnié qu'Ibn Rushd »(4), et, si l'on peut identifier des auteurs qui suivent fidèlement la doctrine d'Averroès (comme Jean de Jandun au xive s.), l'« averroïsme » est avant tout une dénomination qui véhicule avec elle une condamnation implicite, désignant originellement des auteurs du xiiie s. comme Boèce de Dacie ou Siger de Brabant, maîtres ès art à l'université de Paris. Ce sont eux que vise Thomas d'Aquin lorsqu'il constate que « cela fait quelque temps qu'une erreur sur l'intellect a commencé de se répandre »(5), qu'il caricature en disant que, selon les averroïstes, « l'homme ne pense pas », puisqu'il est plutôt « pensé » de l'extérieur du fait de la séparation de l'intellect entre agent et possible, non individualisé. En 1277, nombre de thèses attribuées aux « averroïstes » sont condamnées, ces derniers étant accusés de refuser l'immortalité individuelle de l'âme, de prôner l'éternité du monde, ou encore de considérer que les philosophes sont les plus sages d'entre les hommes(6). De fait, l'accusation d'averroïsme désigne avant tout une certaine attitude laïque, émergeant au xiiie s., qui revendique l'autonomie de la philosophie par rapport à la théologie, et elle ne concerne pas directement Averroès. Elle traduit l'émergence d'une crise universitaire, essentiellement parisienne, que la censure transforme en une doctrine hérétique connue sous le nom de « double vérité ». Averroès(7), de même que les « averroïstes » latins, prônent l'usage des démonstrations rationnelles en philosophie, en distinguant nettement le champ de la raison de celui de la foi, sans pour autant prétendre que l'une et l'autre aboutissent à des conclusions contraires. Or, cette revendication est transformée dans le prologue des condamnations de 1277, qui affirme qu'à « Paris, certains hommes d'études es arts (...) disent en effet que cela est vrai selon la philosophie, mais non selon la foi catholique, comme s'il y avait deux vérités contraires »(8). Plus qu'un courant, l'averroïsme est une hérésie, parfois créée de toutes pièces par les censeurs. Il ne se limite cependant pas aux thèses concernant l'intellect ou l'immortalité de l'âme, et connaît une importante postérité avec l'idée d'une « félicité mentale » : face à des auteurs comme Thomas d'Aquin, affirmant que la béatitude véritable ne peut être atteinte qu'après la mort, « l'averroïsme » affirme la possibilité d'une béatitude terrestre. Cette idée a une importante postérité en philosophie politique, associée à l'idée d'autonomie du pouvoir temporel par rapport au spirituel, et est défendue au début du xive s. par Dante et Marsile de Padoue, qui déplacent la noétique d'Averroès sur le champ politique.

Didier Ottaviani

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Libera, A. de, Albert le Grand et la philosophie, Vrin, Paris, 1990, p. 269.
  • 2 ↑ Leibniz, G. W., « Discours de la conformité de la foi avec la raison », 7, in Essais de théodicée, Flammarion, « GF », Paris, 1969, pp. 54-56.
  • 3 ↑ Sur la doctrine de l'intellect, cf. Averroès, L'intelligence et la pensée (Grand commentaire sur le De anima d'Aristote, livre III), trad. A. de Libera, Flammarion, « GF », Paris, 1998. Sur Averroès, cf. Badawi, A., Averroès, Vrin, Paris, 1998 ; Benmakhlouf, A., Averroès, Les Belles Lettres, Paris, 2000 ; Hayoun, M.-R. et Libera, A. de, Averroès et l'averroïsme, PUF, « Que sais-je ? », Paris, 1991.
  • 4 ↑ Libera, A. de, La philosophie médiévale, PUF, Paris, 1993, p. 161.
  • 5 ↑ Aquin, Th. (d'), Contre Averroès, trad. A. de Libera, Flammarion, « GF », Paris, 1994, p. 77.
  • 6 ↑ Piché, D., La condamnation parisienne de 1277, Vrin, Paris, 1999.
  • 7 ↑ Averroès, Discours décisif, trad. M. Geoffroy, Flammarion, « GF », Paris, 1996.
  • 8 ↑ Piché, D., op. cit., pp. 73-75.

→ avicennisme, aristotélisme

Philosophie de la Renaissance

Dans le proème à sa traduction de Plotin, Ficin affirme que les aristotéliciens italiens sont divisés en deux groupes : les partisans d'Alexandre d'Aphrodise et les partisans d'Averroès. Toutefois, les uns comme les autres nient la providence chrétienne et conduisent à l'hypothèse de la mortalité de l'âme humaine. Ils ne sont donc pas à même de concilier la philosophie avec la religion comme le voudrait Ficin. Cependant, ses remarques traduisent l'influence de la tradition averroïste qui s'était imposée, au xve s., en particulier à Padoue, Parme et Bologne. Au cours du xvie s., l'averroïsme fut au centre de la controverse sur les possibilités et les limites de la connaissance humaine et sur le caractère mortel ou immortel de l'âme individuelle. L'averroïsme padouan domine la réflexion sur la philosophie naturelle. P. Pomponazzi s'en détache pour adopter le point de vue d'Alexandre d'Aphrodise sur l'intellect possible et la mortalité de l'âme humaine.

Fosca Mariani Zini

Notes bibliographiques

  • Olivieri, L. (éd.), Aristotelismo veneto e scienza moderna, 2 vol., Padoue, 1983.
  • Poppi, A., Introduzione all'aristotelismo padovano, Padoue, 1970.

→ ame, aristotélisme, intellect