aristotélisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


La doctrine d'Aristote est, de toutes celles qui nous ont été restituées par l'héritage latin et arabe, l'une des plus complètes. Articulée autour de la physique et de la métaphysique, cette doctrine a en outre produit la logique classique, une théorie de la connaissance, l'hypothèse cosmologique la mieux structurée avant le déploiement du système ptoléméen, la classification naturelle et la biologie qui ont le plus durablement influencé les auteurs classiques jusqu'aux travaux de Linné.

Philosophie Antique

1. Doctrine d'Aristote. – 2. Courant de pensée qui s'en est réclamé.

Dans la Physique(1), qui dresse un état systématique des recherches antérieures des physiologues présocratiques (repris dans la Métaphysique(2)), Aristote a imposé la notion de mouvement comme principe radical de la connaissance des êtres naturels. Mais le mouvement est entendu ici comme un processus général de changement qui affecte l'ensemble des êtres naturels : la phora, « mouvement local », n'est pas plus un mouvement que celui qui est issu de la rencontre des âmes végétatives, sensitives, motrices ou intellectives avec la matière qui leur correspond. L'hylémorphisme tient en l'affirmation de l'existence de trois principes : la matière (la substance ou le sujet), la forme et la privation de forme (accidents). En ce sens Aristote inverse la théorie platonicienne de la metexis, ou « participation », en pensant conjointement, dans chaque individu, le principe matériel et le principe formel, ou l'idée, qui est l'enchaînement concret des formes qu'une matière, toujours en retrait, se donne à elle-même dans l'incessant passage de la puissance à l'acte.

La métaphysique aristotélicienne pose, en particulier, la question de l'être qui n'est qu'être, par opposition à l'être déterminé (être ceci ou cela, être ici ou là, etc.). Toute connaissance déterminée de l'être, ou d'un étant en particulier, se réduit à l'articulation du mécanisme et de la finalité dans le jeu des quatres causes : cause matérielle et cause formelle (selon le principe même de l'hylémorphisme), cause efficiente (suivant en cela les indications liminaires de la Physique) et cause finale. Ce questionnement, dans la mesure où il ne peut régresser à l'infini, doit nécessairement poser comme son fondement authentique l'existence d'un principe premier : d'où l'ambivalence de l'aristotélisme, qui peut être conçu soit comme le point de départ de l'ontologie, soit comme une onto-théologie dont l'objet serait l'être par excellence ou l'être premier(3). La Métaphysique est aussi et surtout une mise en forme des membra disjecta de l'analyse aristotélicienne du langage, de la signification et de l'opération propre au connaître.

Mais il ne faut certes pas oublier que la doctrine d'Aristote, et sa diffusion par Théophraste(4), est un système complet dont on ne peut retrancher aucune partie. Ainsi l'étude de la diversité naturelle conduit-elle Aristote à composer une suite d'ouvrages qui sont comme le point d'ancrage, dans la pensée occidentale, d'une science du corps vivant. Ainsi peut-on dire aussi, suivant en cela Kant, que la logique, dans son sens classique, est sortie toute faite du cerveau d'Aristote, dans l'analyse qui est faite de la signification, de la valeur et de l'herméneutique complexe des propositions(5). La syllogistique, si décisive dans la théorie aristotélicienne de la science (c'est le syllogisme scientifique, dont les termes ne sont pas pris indifféremment, mais sont liés aux résultats de chaque science spéciale), est aussi une théorie de la démonstration, c'est-à-dire la première étude des propositions vraies du strict point de vue de leur forme.

Étendant son domaine d'activité dans l'ensemble des champs du savoir, l'aristotélisme originel, celui du Stagirite, ne pourra être réfuté par parties : il faudra en particulier que Galilée ajoute à Copernic une physique complète, pour que l'on commence à entrevoir la fissure dans un édifice dont l'ambition aura été de poser la question centrale de l'être et des modalités de la connaissance qu'on peut en avoir.

Fabien Chareix

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, Physique, trad. H. Carteron, Belles Lettres, Paris, 1931.
  • 2 ↑ Aristote, Métaphysique, trad. Tricot, Vrin, Paris, 1970.
  • 3 ↑ Aubenque, P., Le problème de l'être chez Aristote, PUF, Paris, 1962.
  • 4 ↑ Théophraste à qui l'on doit le De causis plantarum et le livre des Caractères, ouvrages dans lesquels la botanique prend forme.
  • 5 ↑ Aristote, Organon, trad. Tricot, Vrin, Paris, 1995 (comprend : le traité des Catégories, le traité De l'interprétation, les Analytiques premiers et seconds).

→ biologie, hylémorphisme, logique, métaphysique, nature, physique, platonisme, substance, vie

Épistémologie

Outre l'héritage contesté de la scolastique proprement dite, la présence de l'aristotélisme dans la science moderne puis contemporaine est surtout marquée par le débat autour des causes finales. Ainsi Leibniz réintroduit-il les formes substantielles qui avaient été récusées par la distinction réelle de l'âme et du corps chez Descartes. Le xviiie s., celui de Maupertuis (principe de moindre action) et de Bernardin de Saint-Pierre, ne dédaignera pas d'utiliser à son compte un certain héritage aristotélicien en imposant l'existence, dans la nature, d'un principe finalisé. De ce point de vue, c'est en biologie que ce legs sera le moins problématique, puisque les phénomènes vitaux liés à l'organisation du complexe qu'est le corps verront très tôt apparaître des notations finalistes, y compris dans le texte que Kant consacre à la question de la téléologie, la Critique de la faculté de juger.

Le témoignage le plus marquant d'une résurgence de l'aristotélisme à des fins épistémologiques est sans conteste l'œuvre de René Thom(1). Mais encore faut-il remarquer que cet aristotélisme ne voit dans la doctrine du Stagirite qu'une philosophie de la forme, à partir de laquelle se construit d'une part une grammaire isolée des formes qui permettent de rendre compte de certains comportements chaotiques, et d'autre part une sémiophysique qui pose comme principe directeur l'homogénéité des phénomènes naturels et des lois qui gouvernent les mécanismes de la conscience, par saillances et prégnances.

Fabien Chareix

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Thom, R., Stabilité structurelle et Morphogénèse, InterEditions, Paris, 1972 ; Paraboles et Catastrophes, Flammarion, Paris, 1983 ; Prédire n'est pas expliquer, Eshel, Paris, 1991.

→ catastrophes (théorie des), platonisme, téléologie