affect

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin affectus, « état de l'âme », de ad-ficere, « se mettre à faire ». En allemand : Affekt. Le terme est repris par Freud et Breuer (1895) du vocabulaire traditionnel de la psychologie et de la philosophie (saint Augustin, Descartes, Maine de Biran, Spinoza, etc.). Le terme français, qui traduit l'allemand, apparaît en 1908.

Psychologie

Forme d'action ou de passion qui constitue l'élément de base de la vie affective. L'affect se distingue de l'affection (affectio) qui est une modification de n'importe quelle sorte (affective ou physique).

Descartes(1) et Spinoza(2) définissent l'affect comme « passion de l'âme » (animi pathema) et Spinoza consacre à la nature et à l'origine des affects la troisième partie de l'Éthique. Mais Spinoza insiste sur la neutralité de l'affect : à côté des affects passifs (tristesse, crainte, humilité, repentir) existent des affects actifs (force d'âme, générosité). Les affects tirent leur origine soit des trois affects fondamentaux que sont le désir, la joie (augmentation de la puissance d'agir) et la tristesse (diminution de cette puissance), soit de l'« imitation des affects », processus par lequel chacun reproduit spontanément les passions (ou actions) qu'il voit survenir chez ses semblables. Les affects gouvernent les relations interhumaines, notamment la vie politique puisque le droit naturel se fonde sur les principes de fonctionnement de l'individu – qui, n'accédant pas immédiatement à la Raison, se conduit d'abord d'après ses passions. La violence des affects rend nécessaire la société, dont la simple constitution d'ailleurs ne suffit pas à les maîtriser, puisque chacun conserve son droit naturel, c'est-à-dire le jeu de ses passions. L'État doit donc mettre en oeuvre d'autres affects pour contrebalancer le mécanisme destructeur des premiers : dévotion envers le souverain, amour de la patrie, affects liés au jeu des intérêts matériels. L'éthique individuelle, quant à elle, aboutit à l'affect le plus haut et le plus constant, l'amour envers Dieu, qui n'appelle pas de réciprocité et ne peut disparaître qu'avec l'individu qui en est porteur. Enfin, l'amour intellectuel de Dieu n'est pas un affect, puisqu'il est fondé sur une « joie » qui ne suppose pas de modification de la puissance d'agir(3).

On a longtemps hésité à user du terme d'affect pour rendre le latin « affectus » – mais les mots « passion », « affection », « sentiment » ont chacun leurs inconvénients. Les traductions françaises de Freud et les travaux psychanalytiques de langue française ont enfin rendu le terme disponible.

Pierre-François Moreau

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Descartes, R., Passions de l'Âme, IV, 190.
  • 2 ↑ Spinoza, B., Éthique III, « Définition générale des affects ».
  • 3 ↑ Spinoza, B., Éthique V.

Psychanalyse

Part quantitative de la pulsion dans son émergence psychique, quand la représentation en est la part qualitative. Il désigne une quantité d'énergie psychique locale, autonome, labile, et susceptible d'investir des représentations, de provoquer des sentiments (culpabilité, douleur), et des manifestations corporelles (conversion, angoisse).

Dans les Études sur l'hystérie(1), le symptôme provient de l'impossible expression (abréaction) d'un affect lié à une situation et à une représentation traumatiques. Ainsi « coincé »(2) (eingeklemmt), l'affect s'incarne, investissant par conversion une partie du corps sous la forme du symptôme. Délié de la représentation lors du refoulement, l'affect, réprimé, connaît des devenirs divers : conversion (hystérie de conversion), déplacement (névrose de contrainte) ou transformation (névrose d'angoisse). Les affects adviennent aussi comme sentiments, qui sont déchargés ou inhibés.

Retrouvant les étymons du mot – « ce qui cherche sa forme » et « ce qui pousse à agir » –, Freud définit l'affect comme un invariant énergétique, antérieur à ses expressions – qui seules le donnent à connaître – et qui impose travail et invention psychiques. Bien qu'il soit amené, dans ses travaux, à mettre toujours plus l'accent sur « le point de vue économique », c'est-à-dire le « facteur quantitatif »(3), la notion, d'un maniement délicat et difficile d'usage, est peu utilisée par ses successeurs.

Christian Michel

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Freud, S., Studien über Hysterie (1895), G.W. I, Études sur l'hystérie, PUF, Paris, 2002.
  • 2 ↑ Ibid., p. 12.
  • 3 ↑ Freud, S., Über einige neurotische Mechanismen bei Eifersucht, Paranoia und Homosexualität, G.W. XIII, Sur quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l'homosexualité, PUF, Paris, p. 277.

→ abréaction, conversion, décharge, déni, « névrose, psychose et perversion », pulsion, refoulement, rejet, représentation