Henri Matisse
Peintre français (Le Cateau-Cambrésis 1869-Nice 1954).
Premiers maîtres et premières œuvres
Unanimement considéré comme l'un des plus grands artistes du xxe s., Henri Matisse échappe à toute classification. Il est, comme Braque et Derain, l'un des promoteurs du fauvisme, mais, à partir de cette révolte de la couleur, son art est une réflexion sur la ligne, sur l'équilibre, sur la synthèse des formes.
Fils d'un marchand de grains du Cateau, Matisse commence des études juridiques, passe sa capacité en droit à Paris (1888), entre comme clerc chez un avoué de Saint-Quentin (1889) ; immobilisé pendant un an par les complications d'une appendicite, il découvre le plaisir de peindre. Sa mère, aquarelliste amateur, lui a offert une boîte de peinture et, guidé par la lecture d'un traité de Frédéric Goupil, le jeune homme s'amuse à copier des chromos. Son premier tableau Nature morte avec des livres (musée Matisse, Nice), est daté de juin 1890. Matisse a trouvé sa vocation et, délaissant le droit, s'inscrit à l'académie Julian pour préparer l'examen d'entrée à l'École nationale supérieure des beaux-arts. Dispensé de celui-ci, grâce à l'intervention de Gustave Moreau, dans l'atelier duquel il travaille à partir de 1892, il gardera toujours une profonde reconnaissance à ce maître, dont l'enseignement éveille les talents sans les contraindre. Rouault, Charles Camoin (1879-1965), Henri Evenepoel (1872-1899), Henri Manguin (1874-1949) sont élèves de cet atelier et bientôt aussi Marquet, que Matisse a rencontré aux cours du soir de l'École des arts décoratifs.
Ces années d'études montrent de sages recherches : copies au Louvre (Fragonard, Delacroix, Chardin surtout), paysages exécutés en plein air en compagnie de Marquet et tableaux d'atelier acceptés au Salon de la Société nationale des beaux-arts, où l'État achète en 1896 la Liseuse pour le château de Rambouillet (aujourd'hui musée d'Art moderne, Troyes). Mais, à partir de cette date, la révélation de l'impressionnisme (rencontre à Belle-Île d'un artiste ami de Claude Monet, John Russell [1858-1931] ; découverte du legs Caillebotte au musée du Luxembourg en 1897) et l'émerveillement de la lumière méridionale (séjour en Corse, puis à Toulouse, d'où est originaire sa jeune épouse, Noémie Parayre) orientent l'art de Matisse vers de nouveaux intérêts. Celui-ci quitte les Beaux-Arts après que le très académique Fernand Cormon eut remplacé Moreau (?-1898) et fréquente l'académie Carrière, où il se lie avec Derain, qui lui présentera Vlaminck. En 1899, l'achat des Trois Baigneuses de Cézanne (qu'il léguera en 1936 à la Ville de Paris), celui d'une Tête de garçon de Gauguin et d'un dessin de Van Gogh révèlent ses dilections. Dans quelques toiles, tel l'Homme nu (1900 collection Pierre Matisse, New York), Matisse semble s'orienter, comme Rouault, vers un expressionnisme issu des études préparatoires de Moreau, traitées au couteau en grands plans. D'autre part, il a découvert chez son maître une orgie de couleurs (Pasiphaé, aquarelle, musée Gustave Moreau) qu'à son tour il organisera selon ses dons personnels ; « Vous allez simplifier la peinture », avait prédit Moreau.
Avant d'être vraiment lui-même, il a cependant encore une étape à franchir. Depuis 1901, il expose au Salon des indépendants, présidé par Paul Signac, dont il a médité le texte paru en 1899 dans la Revue blanche et consacré au néo-impressionnisme. Retrouvant cet artiste, accompagné d'Henri Edmond Cross (1856-1910), à Saint-Tropez en 1904, il expérimente le pointillisme. L'œuvre majeure de cette période, Luxe, calme et volupté (collection privée), est exposée au Salon des indépendants de 1905, où se tiennent des rétrospectives Seurat et Van Gogh. La révélation du génie transcendant un système chez l'un et niant toute contrainte chez l'autre est complétée au cours de l'été par celle des Gauguin de Tahiti appartenant à Daniel de Monfreid (1856-1929), auquel Matisse et Derain rendent visite pendant leurs vacances à Collioure.
Un des chefs de file du fauvisme
Assimilant toutes ces influences, le peintre s'éloigne du divisionnisme : la touche s'élargit, les tons s'intensifient, la ligne s'assouplit. Cette évolution aboutit aux violences colorées de la Femme au chapeau (1905, collection privee ; États-Unis) 1905 la Joie de vivre (fondation Barnes, Merion, États-Unis).
Cependant, les outrances élémentaires du fauvisme n'ont qu'un temps pour Matisse ; ses épousailles avec la couleur s'accompagnent bientôt d'une volonté essentielle d'organisation des tons dans l'espace. « Je cherche des forces, un équilibre de forces », note-t-il à propos de la Desserte rouge (1908, musée de l'Ermitage Saint-Pétersbourg), où se trouvent réunis tous les sortilèges de l'arabesque, qui sera l'une des clefs de son art.
Contrairement aux impressionnistes, Matisse, comme d'ailleurs les autres fauves, est très vite accepté par des galeries (Berthe Weill, 1902 ; Druet, 1903 ; Ambroise Vollard, 1904 ; Bernheim-Jeune, 1910). En 1908, Paul Cassirer à Berlin, Alfred Stieglitz à New York lui consacrent des expositions. Sa gloire est rapidement internationale. Parmi ses premiers amateurs, certains sont français, comme Marcel Sembat et Paul Jamot, d'autres américains, comme les Stein (acquéreurs en 1905 de la Femme au chapeau). Sarah Stein, aidée du peintre Hans Purrmann, qui subit depuis son arrivée à Paris l'ascendant de Matisse, incite celui-ci à fonder une école, où, de 1907 à 1911, il forme de brillants élèves étrangers : le Norvégien Per Krohg (1889-1965) le Suédois Nils Dardel (1888-1943). À partir de 1908, le marchand russe Sergueï Ivanovitch Chtchoukine achète à Matisse trente-quatre toiles, parmi lesquelles les panneaux de la Danse et de la Musique (1909-1910, à l'Ermitage), dont il va sur place, en 1911, surveiller l'installation.
Voyages, rencontres et expériences
Les voyages (Allemagne, Italie, Maroc, Russie, États-Unis, etc.) apportent à Matisse un enrichissement visuel toujours renouvelé. Depuis le séjour à Biskra (1906), dont le souvenir est à l'origine du plus expressionniste de ses tableaux (le Nu bleu, 1907, musée d'Art de Baltimore), jusqu'au séjour à Tahiti (1930), dont il transmutera les impressions dans la Danse de la fondation Barnes à Merion, la révélation lui est « toujours venue de l'Orient ». Ce goût, qu'avait éveillé en 1903 l'exposition d'art musulman au pavillon de Marsan, à Paris, s'irradie dans les « Odalisques » de 1921 à 1927. Mais, auparavant, le cubisme, dont le nom est né de l'une de ses boutades, effleure l'art de Matisse, qui, réformé, se trouve au début de la guerre à Collioure, où séjourne également Juan Gris (1887-1927). Le portrait d'Yvonne Landsberg (1914, musée d'Art de Philadelphie) illustre cette volonté de tons neutres et de géométrie, mais les formes inscrites dans des schémas ovoïdes s'apparentent aux lignes des statues africaines, objets d'intérêt pour Matisse depuis 1906.
À partir de 1917, Matisse passe l'hiver à Nice, se préoccupant quelque temps de recherches plus abstraites sur l'espace et la musicalité : la Leçon de piano (1916 ou 1917, musée d'Art moderne, de New York) semble ainsi éterniser le tempo d'un « moderato cantabile ». Après la guerre, son style montre une détente, un retour aux délices ornementales auxquels ses conversations avec Renoir en 1918 ne sont pas étrangères. Peintures d'intimité où l'éclat des fleurs et des fruits concurrence celui des chairs féminines, les diverses Odalisques doivent beaucoup aux aquarelles des Femmes d'Alger, car Delacroix, de même qu'Ingres, est l'un des maîtres auxquels Matisse aime se référer.
La Légion d'honneur en 1925, le prix Carnegie en 1927 consacrent le succès du peintre. Celui-ci revient à plus de rigueur par l'intermédiaire des découpages coloriés, qui lui servent à la préparation des grands panneaux de la Danse (1931-1933) commandés par le Dr Barnes. La sobriété s'accentue dans le Nu rose (1935, musée d'Art de Baltimore). Un incessant souci de l'interpénétration sans modelé des figures dans l'espace, du jeu sans épaisseur des couleurs et du contour aboutit aux différentes versions de la Robe rayée et de la Blouse roumaine.
Écrits et dernières inventions
Malgré la guerre, la vieillesse, la maladie, le sens de l'invention plastique demeure intact chez Matisse, s'inspire des courbes d'un fauteuil rocaille, renoue dans les grands Intérieurs de 1946-1948 avec les paroxysmes colorés du fauvisme, cherche la symbiose de tous les arts dans l'ensemble décoratif de la chapelle du Rosaire des Dominicaines à Vence (1951). C'est toutefois à travers les grandes gouaches découpées follement évocatrices de la danse ou du repos, de la femme, de l'arbre ou de la fleur que Matisse atteint à la fin de sa vie « encore plus d'abstraction, encore plus d'unité ».
Les mêmes préoccupations apparaissent dans ses sculptures, soixante-dix bronzes environ qui, eux, toutefois, s'attaquent de front aux problèmes de l'expression volumétrique (ainsi avec la série des bustes de Jeannette, 1910-1913). De même dans ses dessins et ses gravures (fort nombreux), ses illustrations de livres : dix-sept en tout, parmi lesquelles les Poésies de Mallarmé (1932) les Lettres de la religieuse portugaise (1946) et le texte intitulé Jazz, magistralement accompagné de papiers découpés (1947). Outre les réflexions incluses dans ce dernier album, Matisse a donné différents textes, repris dans le recueil Écrits et propos sur l'art édité en 1972.
Tout au long de sa carrière, les mêmes thèmes s'imposent : fenêtres ouvertes, femmes indolentes, univers de paresse totalement antithétique de son créateur et, avant tout, prétexte à la prospection du champ artistique. « Le travail guérit de tout » disait Matisse. L'œuvre du peintre, d'une apparente simplicité, « ce fruit de lumière éclatante » aimé d'Apollinaire, naît d'un labeur acharné, qui toujours cherche à témoigner de l'indicible sensation dont l'un de ses derniers tableaux porte le titre : le Silence habité des maisons.