seigneurie
(de seigneur)
Terre sur laquelle s'exerce une puissance seigneuriale.
Au Moyen Âge puis à l'époque moderne, la seigneurie constitue la cellule de base de la vie des campagnes d'Occident ; elle se définit à la fois comme une unité d'exploitation agricole et comme un pouvoir de commandement et de contrainte, tant sur les hommes que sur la terre. Prolongement du grand domaine de l'époque carolingienne, la seigneurie est inséparable de l'essor de la féodalité et de l'appropriation privée du droit de ban.
1. Les types de seigneurie
1.1. La seigneurie domestique
La seigneurie domestique représente le pouvoir de contrainte que le seigneur exerce sans partage sur sa familia (sa maison, c'est-à-dire ses domestiques) et plus généralement sur tous ceux qui travaillent à temps complet pour lui : ce sont, pour la plupart, des serfs, des non-libres, des héritiers de l’esclavage de l'époque carolingienne (→ servage).
1.2. La seigneurie foncière
La seigneurie foncière (ou domaniale) est à la fois une unité d'exploitation agricole, une unité de perception des redevances et une unité d'accomplissement des services de travail.
Par rapport au domaine carolingien, elle a une superficie plus réduite, sans être obligatoirement plus cohérente. Elle comprend deux parties bien distinctes : la réserve seigneuriale, ou domaine, exploitée en faire-valoir direct le plus souvent, au profit du seigneur. Parfois d'un seul tenant, elle comporte des coutures (surfaces cultivées), des jardins, des forêts, des pâtures, des vignes, des étangs. La deuxième partie de la seigneurie foncière est constituée des tenures paysannes ; appelées manses à l'époque carolingienne, censives par la suite, elles ont, en principe, une superficie suffisante pour nourrir une famille. Leurs possesseurs, libres ou non, en ont la jouissance héréditaire, moyennant l'accomplissement de services de travail sur la réserve, et le paiement de redevances.
1.3. La seigneurie banale
La seigneurie banale donne à son possesseur, par ailleurs seigneur foncier, des pouvoirs de commandement sur les hommes de sa seigneurie foncière, mais aussi sur ceux d'autres seigneurs fonciers et sur les alleutiers (petits propriétaires libres).
Elle consiste en un ensemble de droits très divers, usurpés par les seigneurs aux dépens de l'autorité publique durant la période de constitution du régime féodal (xe-xiie siècles). Plus encore que la seigneurie foncière, la seigneurie banale est difficile à saisir dans l'espace : le ban se partage, se divise, et les droits et possessions des seigneurs banaux s'imbriquent de façon inextricable.
2. Les revenus de la seigneurie
2.1. Corvées
Le fonctionnement du régime seigneurial met en rapport le seigneur, propriétaire du sol et du pouvoir, et les paysans. Ceux-ci doivent au seigneur des services de travail sur la réserve : labours, ensemencement, moissons, entretien des vignes, mais aussi clôtures, charrois, ramassage de bois ; bref, tout ce qu'on appelle les corvées. Très importantes à l'époque carolingienne, les corvées tendent à diminuer, sauf exceptions, jusqu'à ne représenter que quelques jours de travail par an.
2.2. Redevances multiples
Outre les corvées, le paysan doit au seigneur des redevances propres à la seigneurie foncière, telles que le cens réel, prestation annuelle fixe due pour la concession d'une terre roturière, et le champart, impôt en nature proportionnel à la récolte. Ces redevances représentent en quelque sorte le loyer de la terre.
À ces services de travail et à ces redevances foncières, il convient d'ajouter des redevances pesant sur les personnes. Elles ne concernent qu'un nombre limité de paysans, ceux de la seigneurie domestique semble-t-il (avant de devenir, au xiiie siècle, caractéristiques du servage) : le chevage (ou cens personnel), qui est une capitation payée annuellement au seigneur ; le formariage, droit que paie celui qui épouse une personne étrangère à la seigneurie ; la mainmorte, taxe de rachat pour l'héritier d'un paysan décédé.
Enfin, d'autres redevances et services sont exigés dans le cadre de la seigneurie banale : les amendes de justice, les « exactions » diverses, telles que droit de gîte, de garde, les réquisitions, que le seigneur impose en échange de sa protection ; la taille, aide générale accordée au seigneur ; les banalités, que le seigneur prélève en échange de l'usage de son four, de son moulin, de son pressoir ; et plus généralement tous les revenus procurés par l'activité économique, tels que péages, tonlieux, droit de marché… toutes choses qui procurent des revenus abondants au seigneur ayant la chance de posséder le ban.
3. Du déclin de la seigneurie à l’abolition des droits seigneuriaux
À partir du xiiie siècle, le régime seigneurial évolue sensiblement. On assiste à une fusion des différents types de seigneuries. Le ban seigneurial est doublement attaqué. D'abord, le roi ressaisit peu à peu les droits régaliens, usurpés par les seigneurs de la féodalité triomphante : il en résulte l'affaiblissement, voire la disparition, de nombre de seigneuries banales, en tout cas la baisse des revenus les plus intéressants. Ensuite, le ban se parcellise, se divise, et un nombre croissant de seigneurs fonciers dispose de quelques miettes du pouvoir banal.
On en arrive au type bien connu, aux xviie et xviiie siècles, du seigneur de village : il possède la terre, établit des usages agraires contraignants pour les paysans, exerce la basse justice, impose l'usage de son four ou de son moulin, lève les dîmes à son profit, ne laissant que la portion congrue au curé. Agent du fisc royal, il répartit l'impôt et en surveille la rentrée. Entiché de ses titres seigneuriaux, il va parfois imposer quelque extravagante coutume, dénichée dans un vieux censier. C'est lui que les cahiers de doléances de 1789 visent au premier chef ; c'est à ses vieux papiers que s'en prennent les paysans lors de la Grande Peur. Ce sont ses droits, droits seigneuriaux et non féodaux, qui sont abolis pendant la nuit du 4 août 1789.
Preuve que, à l'inverse de la féodalité, qui était bien morte ou alors n'était plus qu'une apparence, la seigneurie était restée bien réelle, bien vivante à la veille de la Révolution.
Pour en savoir plus, voir les articles Ancien Régime, féodalité.