Asie du Sud-Est : géographie
L'Asie du Sud-Est, qui s'étale sur près de 3 500 km en longitude et en latitude, est divisée en deux parties distinctes, l'une continentale et l'autre insulaire, et présente un relief morcelé. Les chaînes montagneuses tendent à diverger depuis le gigantesque château d'eau que constituent le Tibet et le Sud-Ouest chinois. Cinq grands fleuves en descendent et influencent la géographie des pays qu'ils traversent : l'Irrawaddy et le Salouen en Birmanie, le Ménam Chao Phraya en Thaïlande, le Mékong au Cambodge et le fleuve Rouge au Viêt-nam.
L'ensemble représente une population environ équivalente à celles de l'Afrique subsaharienne ou de l'Union européenne, dont plus de 40 % d'Indonésiens. la répartition de la population est inégale entre les pays, de la ville-État de Singapour à la gigantesque Indonésie (cinquième pays du monde pour la population), et entre les différentes régions d'un même État, où le plus souvent les montagnes presque vides s'opposent aux plaines surpeuplées. Dans l'ensemble, la croissance démographique reste élevée.
1. Géographie physique : éléments d'unité, facteurs de diversité
1.1. Un fort compartimentage
Les caractéristiques naturelles de l’Asie du Sud-Est présentent une grande complexité. C'est une région particulièrement découpée.
Les archipels philippin et indonésien sont les deux plus grands au monde en termes de terres émergées (plus de 20 000 îles au total). En Insulinde (sud de la Thaïlande, Malaisie, Singapour, Indonésie, Brunei et Philippines), le manque de profondeur des îles a empêché la formation de grands fleuves, longtemps voies privilégiées de communication. La tendance au morcellement qui en résulte accentue les effets de l'insularité, et explique sans doute que peu d'États de vaste taille aient pu s'y pérenniser avant la conquête coloniale. Les difficultés de pénétration vers l'intérieur rendent également compte de la meilleure mise en valeur et du peuplement beaucoup plus dense des petites et moyennes îles, ou de celles qui, comme Java, présentent une configuration allongée et mince.
Le volcanisme, qui marque les paysages d'une grande partie de l'Insulinde, apporte plus d'avantages (fertilité des sols, possibilité d'irrigation grâce aux fortes pentes) que d'inconvénients (éruptions, séismes nombreux).
La configuration du continent (péninsule malaise exceptée) est plus simple, constituée de minces plaines côtières (comme au Centre-Viêt Nam), de vastes bassins fluviaux, centres de l'économie rizicole, dont les revenus ont permis la constitution d'États puissants et d'interfluves montagneux, couverts de jungles jusqu'à récemment, et faiblement peuplés : ces zones marginales, ethniquement très diversifiées, n'ont jamais été la base de constructions politiques significatives et ont vécu jusqu'au xixe s. en quasi-autarcie.
1.2. Entre montagnes et mers
Le relief pourrait représenter un facteur d'unité. Les montagnes sont presque partout présentes. Rarement supérieure à 2 000 m, leur altitude s'élève cependant à 5 881 m dans les confins himalayens du nord de la Birmanie, à plus de 3 000 m sur quelques volcans indonésiens et philippins, à 4 175 m au mont Kinabalu, dans la partie malaisienne de Bornéo. Mais aux massifs continus fortement boisés du continent, dépeuplés et souvent difficiles à traverser, s'opposent les volcans ou les intrusions granitiques des archipels : on les contourne aisément et les hommes s'y concentrent fréquemment.
La mer, élément de division du fait des discontinuités qu'elle entraîne, est également un élément unifiant, de par son omniprésence même. Hormis l'extrême nord de la Birmanie, aucun point ne s'en situe à plus de 1 000 km ; environ 90 % des habitants de l'Asie du Sud-Est en vivent à moins de 100 km. Toutes les capitales (sauf Vientiane, au Laos enclavé) et toutes les villes de plus d'un million d'habitants sont proches des côtes, quand elles ne sont pas des ports majeurs, comme Surabaya, Medan, Hô Chi Minh-Ville, Bangkok, Manille, et bien sûr Singapour, plaque tournante du commerce régional. Même Phnom Penh, un peu plus à l'intérieur des terres, voit des navires de haute mer remonter le puissant Mékong jusqu'à elle. Le tropisme maritime a été fortement accentué à l'époque moderne par la colonisation, qui a développé les produits agricoles et miniers d'exportation, et par l'essor de la navigation de transit entre une Asie du Nord-Est en forte croissance et le Moyen-Orient ou l'Europe.
1.3. Une forte cohérence bioclimatique
C'est finalement le climat qui constitue le plus indiscutable facteur d'unité. Comprise entre 28° N. et 10° S., l'Asie du Sud-Est est ainsi presque entièrement située dans la zone intertropicale. Hormis quelques sommets élevés, le gel et la neige y sont inconnus. La fraîcheur hivernale n'est guère marquée, sauf au nord de la Birmanie, de la Thaïlande, du Laos et du Viêt Nam (où les froides précipitations venues de Chine septentrionale la redoublent). Le principal contraste oppose les régions équatoriales où il pleut – plus ou moins – toute l'année (Malaisie, Singapour, Ouest indonésien principalement), ce qui permet jusqu'à trois récoltes annuelles, et celles tropicales mais aussi équatoriales de l'Est indonésien « surprotégé » par la masse australienne, où la saison sèche est nettement marquée, et qui peut durer plus de huit mois : les possibilités agricoles en sont fortement amoindries. Mais la région ne compte aucun désert.
Les zones bioclimatiques manifestent en conséquence une assez grande homogénéité : la végétation n'y hésite qu'entre le tropical et le subtropical. On trouve certaines cultures d'un bout à l'autre de l'Asie du Sud-Est : rizières irriguées qui fournissent l'aliment de base, bananiers, palmiers, canne à sucre, cocotiers, etc. L'hévéa et le palmier à huile, bien acclimatés depuis un siècle, forment d'immenses plantations en Malaisie, à Sumatra et dans le Sud thaïlandais. Au-delà, on a pu parler de l'Asie du Sud-Est comme d'une « civilisation du végétal », tant une plante comme le bambou y connaît d'usages, depuis le sol et les murs d'une maison de village jusqu'aux carquois des chasseurs de la forêt, en passant par ses pousses et son cœur comestibles. La pierre est presque absente de l'architecture traditionnelle.
2. Géographie humaine : un lieu de rencontres
2.1. Des densités très contrastées
La densité moyenne de l’Asie du Sud-Est, d'environ 125 habitants par km2, à peine supérieure à celle de la France, recouvre en fait d'énormes contrastes de peuplement, qu'expliquent essentiellement les inégales possibilités agricoles. En effet, la région demeure avant tout rurale (à plus de 65 %), malgré le développement de certaines des plus vastes agglomérations du monde (Manille, Jakarta, Bangkok).
De vastes étendues sont presque vides (moins de 10 habitants par km2) : la plupart des montagnes sur le continent, le cœur des plus grandes îles (telles que Bornéo ou la Nouvelle-Guinée), des terres isolées ou arides en Insulinde. En revanche, les deltas des quatre grands fleuves continentaux (Irrawaddy birman, Ménam Chao Phraya thaïlandais, Mékong khméro-vietnamien, fleuve Rouge vietnamien) ou les îles de Java, de Bali et de Luçon portent des densités fréquemment supérieures à 500 habitants par km2, parfois à 1 000 habitants par km2.
C'est dans les zones fortement peuplées que se sont mis en place, avant même l'ère coloniale, les États qui se partagent aujourd'hui la région : la maîtrise des zones marginales peu peuplées constitue pour eux un enjeu fondamental, tant géopolitique (c'est généralement là que passent les frontières) qu'humain et économique, dans la mesure où le peuplement et les activités doivent impérativement être déconcentrés des aires centrales saturées. Mais la transmigrasi (« transmigration ») indonésienne vers Bornéo ou les îles orientales, l'ouverture des nouvelles zones économiques sur les hauts plateaux vietnamiens, la migration des Philippins du Nord vers Mindanao créent de nouveaux déséquilibres en tentant d'en résoudre : les milieux naturels sont atteints par une déforestation souvent excessive, qui se traduit fréquemment en Indonésie par de gigantesques feux de forêt dont les fumées toxiques envahissent jusqu'aux pays voisins ; les ethnies des montagnes et des îles, souvent très différentes linguistiquement et religieusement de celles qui viennent s'installer sur leurs territoires, peuvent se sentir menacées dans leur spécificité, voire dans leur survie, et la violence explose à l'occasion, comme aux Moluques ou au Bornéo indonésiens.
2.2. Une extrême complexité humaine
Multiplicité ethno-linguistique
L'Asie du Sud-Est est marquée par une très importante diversité ethno-linguistique, sans doute la plus forte au monde avec celle des régions caucasiennes. Quatre grands groupes linguistiques sont largement représentés : l'austronésien, l'austro-asiatique, le tibéto-birman et le thaï ; on compte de plus quelque 20 millions de Chinois, en particulier en péninsule malaise, et un peu partout dans les villes. La diversité des écritures est elle aussi extrême : une par pays sur le continent (mais l'alphabet latin est partout en Insulinde).
Langues comme écritures indiquent clairement le caractère ouvert de l'Asie du Sud-Est, dont les limites extérieures ont toujours été floues : le thaï, d'ailleurs largement parlé parmi les minorités de la province du Yunnan, au sud de la Chine, est (lointainement) apparenté au chinois, et le birman au tibétain ; les parlers austronésiens, portés par certains des peuples les plus navigateurs au monde, s'étendent à l'ouest jusqu'à Madagascar, à l'est jusqu'à Hawaii et à l'île de Pâques. Toutes les graphies sont d'origine extérieure : dans l'ordre chronologique, la Chine (pour le Viêt Nam ancien), l'Inde (y compris pour l'ancien javanais et le balinais), puis le Moyen-Orient, avec l'expansion de l'islam insulindien, et enfin l'Europe.
Multiplicité ethno-linguistique
L'Asie du Sud-Est est marquée par une très importante diversité ethno-linguistique, sans doute la plus forte au monde avec celle des régions caucasiennes. Quatre grands groupes linguistiques sont largement représentés : l'austronésien, l'austro-asiatique, le tibéto-birman et le thaï ; on compte de plus quelque 20 millions de Chinois, en particulier en péninsule malaise, et un peu partout dans les villes. La diversité des écritures est elle aussi extrême : une par pays sur le continent (mais l'alphabet latin est partout en Insulinde).
Langues comme écritures indiquent clairement le caractère ouvert de l'Asie du Sud-Est, dont les limites extérieures ont toujours été floues : le thaï, d'ailleurs largement parlé parmi les minorités de la province du Yunnan, au sud de la Chine, est (lointainement) apparenté au chinois, et le birman au tibétain ; les parlers austronésiens, portés par certains des peuples les plus navigateurs au monde, s'étendent à l'ouest jusqu'à Madagascar, à l'est jusqu'à Hawaii et à l'île de Pâques. Toutes les graphies sont d'origine extérieure : dans l'ordre chronologique, la Chine (pour le Viêt Nam ancien), l'Inde (y compris pour l'ancien javanais et le balinais), puis le Moyen-Orient, avec l'expansion de l'islam insulindien, et enfin l'Europe.
Diversité religieuse
La région a également été accueillante vis-à-vis des religions venues d'ailleurs, quoique subsistent également, dans les zones reculées, des cultes locaux (animistes) qui, au travers de la croyance généralisée aux esprits, se sont également maintenus dans les interstices des principales croyances. Toutes les grandes religions mondiales comptent de solides bastions en Asie du Sud-Est, à l'exception du judaïsme.
La plus anciennement implantée a été l'hindouisme (environ dix millions de fidèles, à Bali surtout, mais aussi parmi les immigrés d'Inde, nombreux en Malaisie, à Singapour et en Birmanie). Le bouddhisme theravada (ou « Petit Véhicule », ou encore bouddhisme orthodoxe, constitué en une église hiérarchisée étroitement associée aux monarchies), qui compte environ 110 millions de croyants, domine largement sur le continent, à l'exception du Viêt Nam et de la Malaisie. Quant à l'autre grande branche du bouddhisme (Mahayana, ou « Grand Véhicule », influencé par le mysticisme tibétain et redéfini en Chine par la confrontation avec le taoïsme et le confucianisme préexistants), elle s'impose au Viêt Nam (70 millions de fidèles). L'islam (environ 220 millions d'adeptes) ne s'implante que tardivement (à partir du xiiie s.), mais sa domination est aujourd'hui massive dans toute l'Insulinde, sauf aux Philippines. Quant au christianisme (quelque 90 millions de croyants), il parvient aux Philippines au xvie s. avec le colonisateur espagnol ; les chrétiens sont également présents un peu partout au sein des minorités ethniques soit urbaines, soit des zones les plus reculées ; les catholiques sont nombreux au Viêt Nam depuis le xviiie s., et y constituent 6,7 % de la population.
3. Géographie économique : entre matières premières et industries nouvelles
3.1. Une région écartelée
Région humainement multiple, l’Asie du Sud-Est l’est également économiquement. À Singapour, dont le produit intérieur brut (P.I.B.) par habitant est de l'ordre de celui des pays les plus développés, où l'espérance de vie est de 78 ans, et la scolarisation secondaire quasi-universelle, s'oppose un pays comme le Cambodge, au revenu par tête cent fois inférieur, à l'espérance de vie de 53 ans, et à l'analphabétisme supérieur à 50 %. Le Laos, la Birmanie et le Viêt Nam sont également touchés par la pauvreté. Si, dans les dernières décennies du xxe s., la région a connu certains des phénomènes de développement particulièrement spectaculaires, l'Indonésie est depuis la crise de 1997 retombée dans la misère et le chômage de masse, cependant que les Philippines ont connu après l'indépendance un parcours chaotique. Seules la Thaïlande, la Malaisie et le Brunei, appuyés sur leurs matières premières, minérales (pétrole, gaz, étain, etc.) et végétales et ayant su s'industrialiser – pour les deux premières –, sont, en sus de Singapour, de vraies réussites en termes de développement ; leur P.I.B. par habitant est une dizaine de fois supérieur à celui du Viêt Nam, et leur espérance de vie se situe autour de 70 ans.
3.2. Les progrès inégaux de l'industrie
L’Asie du Sud-Est n’est donc pas une région globalement prospère : avec quelque 8 % de la population du globe, elle ne fournit que 1,5 % du produit intérieur brut mondial, quoiqu'elle soit responsable de 5 % du commerce international (dont 2 % pour Singapour). De plus, l'extrême vivacité de certaines croissances est en partie expliquée par l'extrême sous-industrialisation, jusque vers 1960, d'une région particulièrement spécialisée, à l'ère coloniale, dans l'exportation des matières premières. Partout, sauf à Singapour, Brunei et, dans une bien moindre mesure, en Malaisie, la population reste encore aujourd'hui très largement rurale. Même Singapour, concentré sur sa fonction d'intermédiaire, n'a pas le dynamisme industriel – et moins encore technologique – des pays d'Asie du Nord-Est (→ Extrême-Orient). De plus, l'industrialisation du Sud-Est asiatique est marquée par de fortes inégalités.
Inégalité entre pays
De plus en plus, trois catégories de pays se distinguent :
– Birmanie, Cambodge et Laos, qui échappent presque totalement au processus d'industrialisation ;
– Indonésie, Philippines et Viêt Nam, qui, tout en faisant parfois l'objet d'investissements massifs sont caractérisés par une main-d'œuvre pléthorique, des salaires très bas et une production globalement « bas de gamme » ;
– Malaisie, Singapour et Thaïlande, qui sont marqués, parfois depuis peu, par une main-d'œuvre déficitaire (l'immigration y croît par conséquent très vite), par des rémunérations déjà substantielles et par le renforcement des segments intensifs en capital (industrie lourde, biens intermédiaires) et/ou en technologie (informatique, machines, etc.).
Inégalité entre régions
Sauf dans la cité-État singapourienne, il n'existe dans aucun pays du sud-est asiatique de tissu industriel cohérent à l'échelle nationale ; les activités se concentrent en un petit nombre de pôles. Parmi les facteurs expliquant cette carence figurent notamment la faiblesse des infrastructures en dehors des métropoles et la difficulté de recruter de la main-d'œuvre qualifiée loin des rares universités.
Inégalité dans la répartition des activités
Le plus souvent, le paysage économique du sud-est asiatique est caractérisé par la présence de trois types d'entreprises industrielles, correspondant à trois séries de spécialisations, et séparés par des cloisons étanches :
– les filiales des multinationales étrangères, qui se concentrent dans l'industrie légère exportatrice (électronique dans toute l'Asie du Sud-Est, chaussure en Indonésie, textile en Malaisie, agroalimentaire en Thaïlande) ;
– les grands groupes nationaux, publics ou privés, qui ont pour prédilection l'industrie lourde, la transformation des matières premières et, dans une moindre mesure, les constructions mécaniques (automobile en Malaisie, avions Astra en Indonésie, navires à Singapour, etc.) ;
– à côté de ces moyennes et grandes unités, une myriade de micro-entreprises, essentielles pour l'emploi et pour la consommation locale, mais aux méthodes encore très artisanales.
3.3. Riziculture et plantations
L'agriculture en Asie du Sud-Est, même là où elle est peu dense, privilégie la petite exploitation, généralement rizicole, et néglige l'élevage, quitte à se concentrer sur une faible fraction de l'espace disponible : 3 % des terres au Laos, alors qu'au moins 20 % seraient cultivables. À l’exception de Singapour et de Brunei, le poids de l'agriculture est une donnée commune. Dans une Thaïlande en plein boom industriel, celle-ci fournit encore plus de la moitié des emplois, plus du quart des exportations. L’Asie du Sud-Est compte deux des trois grands exportateurs de riz (Thaïlande, Viêt Nam), fournit la quasi-totalité du caoutchouc naturel, de l'huile de palme, du coprah, du poivre, et une part importante du cacao, du sucre, du manioc et du café.
Il convient cependant d'opposer les pays et les territoires où le riz et les cultures vivrières d'appoint (manioc, patate douce, maïs, etc.) sont très hégémoniques (la plupart) et ceux (Malaisie, Philippines, Indonésie hors Java et Bali) où les plantations dominent.