Il sourcille à peine lorsque les experts révèlent que l'explosif du transistor n'était pas de la simple poudre de chasse, mais un explosif de carrière beaucoup plus dangereux.

« La riposte n'était pas proportionnée à l'attaque, explique l'avocat général, Lionel Legras n'était pas physiquement menacé. » Et il requiert une peine de trois ans de prison, assortie de sursis.

Acquittement

Mais les avocats de la défense, eux, laissent le droit et le Code pénal au vestiaire. Ils parlent le langage des braves gens, en rajoutant parfois un peu dans le registre démagogique (veut-on donner la sécurité sociale aux cambrioleurs ?), avant de conclure : « Tout fout le camp si vous condamnez Legras. » Les jurés ont donc acquitté.

Mais la politique n'a pas fini d'utiliser ou de récupérer le geste de ras-le-bol d'un garagiste cambriolé. Au lendemain du procès, Georges Marchais estime publiquement que cet acquittement « est une bonne chose ». Et le président de Légitime Défense annonce sa candidature aux élections municipales à Paris, pour une croisade contre « la tourbe nationale et internationale de paresseux, de drogués et de vicieux ».

Le syndicat de la magistrature voit, lui, dans ce verdict une « dramatique régression sociale ». Le président de la cour d'assises de l'Aube n'avait-il pas lancé à la foule hurlant sa joie à l'annonce de l'acquittement : « N'oubliez pas qu'il y a quand même eu mort d'homme », mais sa voix avait été couverte par des cris et des sifflets encore plus forts.

Fausses factures : le labyrinthe marseillais des milliards détournés

Une mort mystérieuse. Un ministre – Nicole Questiaux – remercié discrètement. Deux juges d'instruction sur la brèche depuis six mois. Soixante-neuf inculpés, dont vingt-sept agents de la municipalité de Marseille. Plusieurs dizaines de milliards de francs détournés. De rebondissement en rebondissement, l'affaire Lucet est devenue l'affaire des fausses factures de Marseille, et, à quelques mois des élections municipales de mars 1983, certains voudraient déjà y voir l'affaire, celle qui ébranlerait le septennat Mitterrand.

Routine

Les Français se sont presque lassés des supputations sur les circonstances de la mort de René Lucet lorsque le dossier de la Caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône se réactive, fin juin 1982. Par pure routine, les policiers ont attaqué une vérification systématique des livres de compte de la caisse. Par le plus grand des hasards, ils découvrent que cinq de ses fournisseurs avaient monté une escroquerie sur les marchés de gré à gré.

À première vue, la principale victime en est la municipalité de Marseille. Lors des demandes de paiement – essentiellement pour des travaux publics ou de construction –, ces sociétés facturaient des travaux fictifs, grossissant ainsi la somme à payer. Quelques complicités dans les rangs des 10 000 fonctionnaires municipaux marseillais, payées en espèces ou en cadeau, permettaient la manipulation.

Le juge Chantal Coux est chargé d'une instruction pour abus de biens sociaux, abus de confiance, faux et usages de faux. Les inculpations vont pleuvoir.

Parmi les onze premiers clients, Julien Zemmour. Cet inspecteur des impôts de Nice avait monté une vingtaine de sociétés bidon, toutes ou presque dirigées par un de ses proches. Ces sociétés servaient à blanchir les sommes détournées aux dépens de la municipalité de Marseille. Pour éviter la curiosité de ses collègues du fisc, Julien Zemmour les avait domiciliées à Nice. On n'est jamais si bien servi que par soi-même.

Arrestations

Mais l'énigme de la mort de René Lucet, et les polémiques qui ont suivi, la personnalité du maire de Marseille donnent, dès les premiers jours de l'enquête, un tour plus politique aux nombreux commentaires. Gaston Defferre, devant le conseil municipal de sa bonne ville, début juillet, précise sans fioritures : « Je serai sauvage ! »

Les arrestations se succèdent. Le 7 juillet, Dominique Venturi, dont le fils, gérant d'une des sociétés de travaux publics indélicates est déjà sous les verrous, est interpellé à son tour ; Marseille frémit. Nick pour ses amis du Vieux-Port, Dominique Venturi est lié depuis trente ans à la politique, aux affaires et au banditisme marseillais. Il fait de la prison en 1952 lors de l'affaire de trafic de cigarettes dite du Combinatie ; le Narcotic Bureau américain s'est intéressé à lui lors du démantèlement de la french connection. Il a longtemps été un des habitués de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône.