Les débats sur la convention sont alors menés pendant seize mois dans un mélange d'improvisation et d'organisation. À ceux qui veulent aussitôt se lancer dans la rédaction d'un texte et sont prêts à en découdre sur le nouvel échafaudage des pouvoirs, Valéry Giscard d'Estaing répond que ce groupe a d'abord besoin de se connaître. Pendant plusieurs mois, et à raison de séances de deux jours toutes les quatre semaines, l'hémicycle ne résonne que de discours. Mais une maïeutique se met en place. À l'été 2002, on passe à la phase des petits groupes de travail, chacun s'adjugeant une question particulière : simplification des textes, Europe sociale, gouvernance économique, défense commune. À chaque fois, il s'agit de déterminer jusqu'où Bruxelles peut aller et ce qui doit être du domaine propre de chaque pays. À l'automne 2002, Giscard présente le squelette de la future constitution, où viendront se loger une à une les mesures adoptées en groupes, puis discutées en assemblée générale et rédigées par le praesidium. Entre ceux qui veulent donner davantage de pouvoirs aux instances communautaires (les fédéralistes) et ceux qui s'y refusent (les souverainistes), entre les chantres du libéralisme et les défenseurs des services publics, entre ceux qui rêvent d'une Europe avec une défense propre et ceux qui se contentent du bouclier américain, le dialogue n'est pas évident. La discussion, notamment entre ceux qui veulent introduire dans le préambule la référence à Dieu (qui sera rejetée), et ceux qui veulent évoquer l'héritage des religions (qui sera adopté sans citer explicitement le christianisme), fait ainsi l'objet de débats loin d'être clos. En février 2003, au pire moment de la crise irakienne – l'UE étant divisée en deux camps, celui opposé à une guerre et celui décidé à se joindre au combat avec les États-Unis –, la convention songe à suspendre ses travaux. En fait, la crise aura une issue heureuse : celle de convaincre tout le monde de la nécessité de créer un nouveau poste, celui de ministre européen des Affaires étrangères chargé d'élaborer une politique commune en ce domaine. Mais c'est évidemment sur le schéma institutionnel que le consensus sera le plus difficile à élaborer.

Constitution, mode d'emploi

Outre le préambule, le projet de traité formant la nouvelle constitution européenne est divisé en quatre parties. La première partie est consacrée à la structure des institutions ; la deuxième reprend la charte des droits fondamentaux, autrement dit les droits et devoirs des citoyens européens ; la troisième traite des politiques et du fonctionnement de l'Union ; la quatrième aborde les dispositions générales et finales.

Dans deux domaines essentiels, l'effort de simplification est certain : le texte définit précisément ce qui est de la compétence exclusive de l'Union européenne, le domaine où l'Union ne peut avoir que des actions de coordination avec les États membres et le domaine où les compétences sont partagées ; le texte réduit par ailleurs le nombre d'instruments juridiques. Dorénavant seules subsistent en matière européenne les lois, les lois-cadres, les règlements et les décisions. La réforme des institutions comporte six mesures phares :
– La nouvelle majorité qualifiée au sein des Conseils des ministres européens pour adopter un texte est constituée par la moitié des États membres, à condition qu'ils représentent au moins 60 % de la population de l'Union européenne.
– La présidence tournante de l'Union européenne prend fin. Le nouveau président du Conseil des chefs d'État et de gouvernement serait élu à la majorité qualifiée. Le projet de traité reste en revanche très flou sur l'organisation des futurs Conseils des ministres (transports, finances, agriculture, etc.). Il ne dit pas combien de formations subsisteront, ni comment les présidences de ces conseils seront réparties entre les États membres.
– La Commission resterait composée d'un représentant par État membre mais 15 membres seulement auraient le droit de vote.
– Un ministre des Affaires étrangères est nommé par le Conseil européen à la majorité qualifiée pour donner plus de cohérence et de visibilité à l'action extérieure de l'Union.
– Le pouvoir du Parlement est renforcé en matière budgétaire, commerciale et en matière d'accords internationaux.
– Sur l'initiative d'au moins un million de citoyens européens issus d'un nombre significatif d'États, la Commission peut être invitée à soumettre une proposition.

Logique des grands pays contre logique des petits

La « ligne jaune » : déterminer jusqu'où Bruxelles peut aller.
La Communauté européenne de défense : « une armée apatride » et une « Babel militaire ».