L'Union européenne repose en effet sur un triptyque de pouvoirs : la Commission, le Conseil et le Parlement. La Commission est la gardienne des traités. Responsable de l'application de la politique communautaire, elle est la seule à pouvoir proposer des projets de loi qu'adopte le Conseil composé des ministres de chaque gouvernement concerné par le sujet examiné : ministres de l'Agriculture si l'on se penche, par exemple, sur les aides agricoles, ministres des Finances lorsque vient en débat la politique économique, etc. Enfin, le Parlement est l'institution qui représente les citoyens. Il vote le budget et peut censurer la Commission. Dans un pays ordinaire, on dirait que la Commission est le gouvernement, le Conseil des ministres, une sorte de Sénat, de chambre haute représentant les États, tandis que le Parlement serait la chambre basse. En fait, dans l'Union européenne, c'est beaucoup plus complexe, chacun des États membres tenant à garder une part de pouvoir dans chaque institution. La Commission est ainsi composée d'au moins un représentant de chacun des pays (deux pour les grands). C'est dire si l'élaboration des textes législatifs se fait aussi à l'aune des intérêts de chaque État. De même, outre le Conseil des ministres, se réunit quatre fois par an un Conseil européen, composé des chefs d'État et de gouvernement, qui prend les décisions ultimes s'imposant à tous, une sorte de présidence collective : c'est ce Conseil européen qui tranchera en fin de compte sur le contenu de la Constitution. Enfin, dernier signe que les gouvernants de chaque pays veulent garder la main, le Parlement n'a, sur de nombreux textes législatifs, qu'un pouvoir de consultation. Pourtant, ce triple et original attelage a permis que, doucement et dans le consensus, les États lâchent peu à peu des parcelles de leur souveraineté : la monnaie, la politique migratoire, la surveillance des frontières et le commerce sont aujourd'hui communautaires, et ce n'est pas rien.

Mais, au sein d'une Europe aux histoires de plus en plus diverses, deux logiques de l'évolution des institutions s'opposent. La première, souvent menée par une majorité de grands pays, veut faire du Conseil européen l'organe leader de l'Union : elle milite donc pour introduire dans la future constitution un président élu par ses pairs pendant une durée fixe, au lieu de l'actuelle présidence tournante tous les six mois ; de même, elle veut restreindre le vote à l'unanimité au profit d'une majorité qualifiée où chaque État ne serait pas égal, mais pèserait en fonction du poids de sa population. La seconde logique, soutenue par une majorité de petits et moyens pays, veut faire de la Commission l'organe phare : elle est réticente à l'élection d'un président du Conseil qui ferait de la Commission une haute fonction publique, et de son président, qui lui a un mandat fixe, un simple exécutant ; surtout, elle ne veut pas entendre parler d'une composition restreinte de la Commission dans laquelle chaque pays n'aurait donc plus son mot à dire. La solution proposée par le projet de constitution en juin 2003 ne satisfait personne à 100 %. Mais elle est adoptée par les conventionnels, signe que l'on est arrivé à un consensus : le président du Conseil européen serait dorénavant élu, sans être aussi omnipotent que l'auraient voulu certains pays ; la Commission restera composée d'un commissaire par pays, mais ces derniers n'auront pas tous en même temps le droit de voter au sein de la structure. Bref, le projet clair et lisible présenté aux chefs d'État et de gouvernement au sommet de Thessalonique (Grèce) est, depuis, la base de discussion entre les différents États. Car, pour exister, le texte final doit être adopté à l'unanimité par tous les pays membres. Si le lieu de la signature d'un tel document est d'ores et déjà trouvé – Rome, là où fut adopté en 1957 le premier texte européen –, la date de la cérémonie et le contenu du texte restent ouverts. En effet, les mêmes logiques qui opposent petits et grands États, fédéralistes ou souverainistes, renaissent sans cesse depuis septembre 2003. Pourtant, en remettant son ouvrage à chaque dirigeant, Valéry Giscard d'Estaing a fait cette mise en garde : son projet était « à la fois insuffisant, mais inespéré car la convention était allée aussi loin qu'il était possible et toute correction mettrait en péril un fragile et miraculeux équilibre obtenu ». Un équilibre qu'il faudra ensuite faire adopter par les populations européennes consultées pour la plupart par référendum dans les années à venir. Et cela est une autre histoire.

Qui se souvient de la CED ?

Le 26 octobre 1950, le gouvernement Pleven fait voter par l'Assemblée nationale le principe d'une « armée européenne » (343 voix contre, 225 venant des communistes et des gaullistes). Le 27 mai 1952, le gouvernement Pinay signe le traité de Paris établissant la Communauté européenne de défense (CED) ; le 30 août 1954, le gouvernement Mendès France soumet le projet de ratification du traité à l'Assemblée nationale. Celle-ci vote une question préalable entraînant le rejet du projet (pour le rejet : 99 communistes, 67 gaullistes sur 73 ; 53 socialistes sur 105 ; 44 radicaux sur 100 ; 44 modérés sur 136). Ce projet prévoyait notamment un pacte d'assistance mutuelle en cas d'agression contre l'un des six États membres, des forces européennes de défense intégrées, des institutions politiques, un protocole relatif aux relations avec l'OTAN (autant de mesures aujourd'hui en germe dans le projet de constitution). Mais, pour les communistes, la CED était alors « une arme brandie contre l'URSS, patrie du socialisme » et, pour les gaullistes, elle serait « un des instruments d'une stratégie américaine » fabriquant une « armée apatride » et une « Babel militaire ». Quant à Pierre Mendès France, signe que les socialistes n'étaient pas plus enthousiastes, « refusant de participer à un vote qui divise profondément l'Assemblée et l'opinion », il avait laissé l'Assemblée « prendre la décision qui lui appartient ». La Constitution européenne venait de prendre cinquante ans de retard.

Les Français : europhobes ou europhiles ?

Selon un sondage du 8 octobre 2003, près des trois quarts des Français (74 %) pensent que le président Jacques Chirac devrait décider d'organiser un référendum sur la Constitution de l'Union européenne. Les plus demandeurs sont les sympathisants du FN et du MNR (84 %), devant les électeurs de gauche (75 %) et de la droite parlementaire (68 %) ; 22 % ne jugent pas nécessaire ce référendum et 4 % ne se prononcent pas.

– Les Français europhobes ? 61 % des personnes interrogées auraient voulu être consultées sur l'élargissement de l'Europe, projet ratifié par l'Assemblée nationale et concernant l'impact sur l'économie française ; 47 % pensent que la construction européenne a favorisé la croissance ; 46 % jugent au contraire qu'elle l'a plutôt gênée.

– Les Français europhiles ? Pour six Français sur dix, la construction européenne est une « source d'espoir ». Plus d'un Français sur deux souhaite l'élection d'un président de l'Europe au suffrage universel ; 71 % souhaiteraient qu'il existe « une armée européenne ».