Trintignant-Cantat

C'est un triste fait divers, le fait divers de l'été, qui s'est déroulé dans la nuit de Vilnius, à 2 000 km de Paris. Ses protagonistes : un couple en devenir – une actrice, un chanteur de rock, qui cultivaient la parole, en faisant leur métier. La parole, devenue acte, les a poussés hors limite. L'actrice est morte, le chanteur est en prison.

Alors qu'elle achevait le tournage de Colette, un téléfilm pour France 2, à Vilnius, en Lituanie, sous la direction de sa mère Nadine et de son frère Vincent, premier assistant réalisateur, la comédienne française Marie Trintignant a été hospitalisée le 27 juillet, dans un état jugé sérieux, après une dispute survenue pendant la nuit dans une chambre de l'hôtel Domina Plaza occupée par son ami Bertrand Cantat, le chanteur du groupe rock français Noir Désir.

Un drame de la jalousie ?

Les deux artistes s'étaient rencontrés un an plus tôt, lors d'un concert du groupe à Vaison-la-Romaine. Ils ont tous deux mari, femme et enfants. Des conjoints qu'ils quittent bientôt pour engager une liaison discrète, tout en conservant avec ces derniers des liens étroits, échanges d'enfants obligent (quatre pour elle, deux pour lui). Ces liens seraient à l'origine de la querelle qui oppose le couple dans la nuit du 26 au 27 juillet. Ainsi, l'ex-conjoint de Marie Trintignant est le cinéaste Samuel Benchetrit, sous la direction duquel elle vient de tourner Janis et John, une comédie dont ils doivent assurer ensemble la promotion à la rentrée. Ils communiquent, dit-on, par textos. Affective ou professionnelle, cette présence de l'ex-conjoint, jugée envahissante, est de nature à troubler la sérénité du couple. Est-ce elle qui mène à la dispute ? Peu importe. Seul Bertrand Cantat peut le dire.

La version de Bertrand Cantat

Selon sa version, le ton ayant monté entre eux, au sujet de leurs relations respectives avec leurs ex-conjoints, les deux artistes en viennent aux mains. Marie Trintignant, « sortie de ses gonds », aurait frappé la première ; Bertrand Cantat présentera des ecchymoses au thorax et à la lèvre. Sa réaction ? Des « gifles », deux « allers-retours », du plat et du revers de la main et non du poing, car il est « sorti de lui-même ». Puis il met sa compagne au lit, une compresse sur le front, et appelle Vincent Trintignant, qui vient immédiatement. Il est environ 6 h 30 : « Je pouvais apercevoir Marie dans la pénombre, allongée sur le dos. Elle respirait comme une personne qui dort. J'ai pu voir son visage tuméfié, avec un cocard sur l'œil. » Mais il ne s'alarme pas encore. Pourtant, à 7 heures du matin, c'est bien du sang qui coule des lèvres de Marie Trintignant. Son frère appelle les urgences.

Un crime passionnel

Transportée à l'hôpital, l'actrice française est dans le coma. Elle subit une première opération neurochirurgicale, puis une seconde intervention de la dernière chance, deux jours plus tard, conduite par le neurochirurgien français Stéphane Delajoux. Tandis que Bertrand Cantat est hospitalisé sous haute surveillance – il a tenté de mettre fin à ses jours – dans la prison lituanienne de Lukiskiu, Marie Trintignant, plongée dans un coma « profond et irréversible », est rapatriée à Paris, où ses parents souhaitent la voir s'éteindre. Le 1er août tombe ce communiqué : « Marie Trintignant est décédée ce matin à 10 h 20 des suites d'un œdème cérébral et ce, malgré la réanimation poursuivie depuis son arrivée à la clinique Hartmann [de Neuillly-sur-Seine]. »

Le rapport d'autopsie est remis le 12 août à la juge d'instruction parisienne Nathalie Turquey, qui a reçu l'accord des autorités lituaniennes pour se rendre à Vilnius. Il ne laisse guère de doute et exclut une chute accidentelle comme origine de la mort. Avant de tomber dans le coma, Marie Trintignant a eu le nez cassé, elle a subi des lésions cérébrales similaires à celles du syndrome du « bébé secoué » ainsi que de multiples traumatismes au visage.

Quant à Bertrand Cantat, il est pris dans l'engrenage judiciaire. « Il a commis un crime grave qu'il reconnaît en partie », indique le juge lituanien chargé du dossier. Pour la défense du leader de Noir Désir, l'un des enjeux principaux consistera à requalifier les faits de « crime » en « crime passionnel », passible de six ans au lieu de quinze ans de prison dans le code pénal lituanien. Mais le cœur de l'affaire, devant les juges, peut-il se résumer à cette seule et unique question : claques, gifles ou coups de poing ?

Tristesse et émotion

En France, l'émotion et le tourbillon médiatique provoqués par ce drame sont considérables : la mort d'une actrice dont la famille est généreusement impliquée dans le cinéma français depuis cinquante ans déclenche inévitablement la sympathie populaire et l'ire des féministes, qui en profitent pour dénoncer la violence machiste, dont l'actrice devient la victime emblématique. La mort de l'actrice apparaît insupportable à tous ceux qui l'ont aimée. En publiant en librairie une longue lettre intitulée Ma fille, Marie, la réalisatrice Nadine Trintignant ne cache pas ses intentions : « J'espère bien influencer le procès et je ne m'en cache pas, souligne-t-elle. Je souhaite que son meurtrier soit puni autant que possible. » Des propos qui portent atteinte au droit du chanteur à la présomption d'innocence, a tranché la cour d'appel de Paris.