L'opération « Lindbergh » a réussi. Sous ce nom de code se cache une ablation de la vésicule biliaire pas comme les autres. L'intervention s'est en effet déroulée par l'intermédiaire d'un robot chirurgical dont les commandes étaient tenues à 7 500 km de distance par le professeur Jacques Marescaux.

La chirurgie assistée par ordinateur

La patiente à Strasbourg et le chirurgien à New York

Paul Benkimoun
Journaliste au Monde

Ce vendredi 7 septembre 2001, le professeur Jacques Marescaux, chef du service de chirurgie endocrinienne et digestive des hôpitaux universitaires de Strasbourg, et fondateur de l'Institut européen de téléchirurgie (IETS) et de l'Institut de recherche contre les cancers de l'appareil digestif (IRCAD), vient de terminer son intervention chirurgicale. Il s'agissait de l'ablation de la vésicule biliaire – une « cholécystectomie » – chez une patiente âgée de 78 ans, qui a très bien supporté l'intervention de 45 minutes pratiquée sous anesthésie générale. L'opération n'aurait rien eu que de très banal si la patiente ne se trouvait pas à Strasbourg et le chirurgien à New York. D'où l'évocation du nom de Charles Lindbergh, auteur du premier vol transatlantique. L'intervention a été réalisée grâce à un partenariat avec France-Télécom et la société californienne Computer Motion, qui a mis au point le robot baptisé Zeus.

Le robot Zeus

Ce robot chirurgical se compose de deux parties. Dans le bloc opératoire de Strasbourg avait été placé le socle muni de trois bras articulés portant à leur extrémité, l'un une caméra miniature, les autres les différents instruments chirurgicaux (scalpel, pince, ciseaux, porte-aiguilles pour les sutures...). La minicaméra et les instruments ont été introduits dans le ventre de la patiente, qui était volontaire, à l'intérieur de fines canules. À New York se trouvait le pupitre de commande : outre un écran de contrôle affichant une image de haute définition, il comprenait des manettes permettant de télécommander les deux bras porteurs d'instruments, le troisième, porteur de la caméra, étant gouverné par commande vocale. Bien entendu, à titre de précaution, une équipe chirurgicale était à pied d'œuvre à Strasbourg, prête à reprendre la main en cas de problème.

Une prouesse technique

Une amélioration de la précision du geste chirurgical

Racontée dans le journal le Monde du 20 septembre 2001, cette intervention chirurgicale, précédée de six répétitions sur des porcs, était la première réalisée dans des conditions où l'opérateur était à longue distance du malade. Il fallait une prouesse technique pour permettre dans un délai suffisamment court le retour d'informations visuelles à l'opérateur. Pour les spécialistes, un intervalle de plus de 300 millisecondes entre la commande et le retour d'information sur le mouvement effectué par le bras télécommandé présenterait des dangers pour le patient. Pas question donc d'utiliser les liaisons par satellite car leur temps de latence est de l'ordre de 600 millisecondes. France Télécom a eu recours au réseau sous-marin de fibres optiques qui traverse l'Atlantique et possède un débit de 10 mégabits par seconde, ce qui a permis un retour d'informations visuelles (avec codage et décodage de la vidéo et transmission du signal) à l'opérateur en 155 millisecondes.

S'il est encore trop tôt pour définir la place que ce type de pratique occupera, elle illustre les progrès réalisés en quelques années par la chirurgie assistée par ordinateur (CAO), dont elle découle. La CAO a commencé à être utilisée à partir de 1996. La première intervention robotisée au monde a été réalisée en mars 1997 à Bruxelles par l'équipe de chirurgie viscérale du professeur Guy-Bernard Cadière (hôpital Saint-Pierre) et la technique reste encore limitée à quelques grands centres hospitaliers publics ou privés. Ce caractère « émergent, voire expérimental », rend encore impossible un bilan de son efficacité et de sa sécurité. En France, l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES) a cependant souhaité présenter en mai 2002 un rapport d'étape sur ces techniques déjà appliquées dans plusieurs domaines de la chirurgie : cardiaque, urologique, digestive et viscérale. « La chirurgie assistée par ordinateur, précise le rapport de l'ANAES, a pour objectif d'assister le chirurgien dans la réalisation de gestes diagnostiques ou thérapeutiques les plus précis et les moins invasifs possibles, sous sa supervision. Elle fait intervenir le traitement numérique de l'image et l'utilisation de “robots” chirurgicaux. » Les avancées conjuguées de la chirurgie « mini-invasive » et des techniques d'imagerie médicale rendant possibles des reconstructions virtuelles ont permis de mieux répondre aux objectifs d'une meilleure reproductibilité et d'une amélioration de la précision du geste chirurgical.

Des pontages coronariens assistés par ordinateur

Robodoc est utilisé pour la révision des prothèses de hanche.