Dans les premiers jours de janvier, bien que toujours déconcertés par des formules sibyllines telles que « la somme des arrondis n'est pas égale à l'arrondi de la somme », la majorité des citoyens cessa, presque immédiatement, d'utiliser le franc. Soit bien avant la date fatidique du 17 février 2002. La commission européenne, qui avait autorisé à ses membres des périodes transitoires de trois mois, estimait qu'à la mi-janvier 90 % des paiements en liquide intervenaient en euros et non plus en francs, surpassant encore les prévisions optimistes du ministre de l'Économie d'alors, Laurent Fabius, qui tablait pour sa part sur 80 %. Seuls les prix élevés, comme ceux des automobiles, continuaient, au moins mentalement, à être évalués en francs. Ils le seront sans doute longtemps. La valeur des biens immobiliers est d'ailleurs parfois encore exprimée en anciens francs (10 000 francs deviennent 100 « nouveaux » francs en 1960) par les propriétaires un peu âgés. Troquant le franc pour l'euro à partir du 1er janvier 2002, la France aurait-elle pu se passer entièrement de cette « période de double circulation », à l'instar de l'Allemagne, et de certains des autres membres de la « zone euro » (12 pays, Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, 304 millions d'habitants au total) ? En France, le gouvernement avait choisi une transition de six semaines, suffisamment courte pour ne pas laisser s'établir un double système de change, mais assez longue pour rassurer la population. De fait, ces six semaines ont eu le mérite d'« assécher » les francs plus paisiblement, les commerçants acceptant les paiements en francs, mais rendant la monnaie en euros.

Le « bas de laine » – pièces et billets de francs cachés sous les matelas, en tous cas en dehors du système bancaire – était évalué à 150 milliards francs au lancement de l'euro. Au premier janvier, les conversions discrètes ont été stimulées par l'annonce que les banques ne seraient plus contraintes de déclarer les échanges de francs contre euros pour les montants inférieurs à 10 000 euros. En tout état de cause, si les échanges de monnaie ne peuvent plus se faire dans les banques depuis le 1er juillet 2002, ils restent possibles auprès des guichets de la Banque de France jusqu'en février 2005 pour les pièces et 2012 pour les billets.

Quant au franc, dont la disparition, après plus de deux siècles d'existence ininterrompue, avait été tant décriée, il ne fait plus beaucoup parler de lui. Effacé du territoire français, y compris des départements d'outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Réunion) ainsi que des collectivités territoriales de Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon, son nom reste accolé au sigle CFA (communauté financière africaine) dans 14 pays d'Afrique francophone, à celui de CFP (communauté française du Pacifique) en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie, à Wallis et Futuna (franc-CFA et franc-CFP). Les « micro-États » européens de Monaco, d'Andorre, de San Marin et du Vatican ont aussi choisi l'euro comme monnaie officielle. La Suisse conserve quant à elle son propre franc suisse, dont la parité reste indépendante de celle de l'euro, comme elle l'était du franc français. L'euro circule aussi largement sur le territoire helvète, enclavé dans la zone euro ainsi que, par exemple, en Grande-Bretagne, dont le sud est tout proche de la France et dont la côte ouest jouxte l'Irlande.

Trente années d'efforts

– Mars 1971 : l'ancien Premier ministre du Luxembourg, Pierre Werner, présente un rapport à la Commission européenne de Bruxelles, qui trace les premières lignes de la création d'une monnaie unique.

– Mars 1979 : démarrage du système monétaire européen, qui unit les monnaies de six pays par un taux de change « stable, mais ajustable ». Les marges de fluctuations entre monnaies se situent à 2,25 % de part et d'autre d'un « taux pivot ».

– Février 1992 : signature à Maastricht (Pays-Bas) du traité fondateur d'une Union économique et monétaire (UEM) centrée sur une monnaie unique. Le traité est ratifié en France par un référendum, en septembre 1992. Le Communauté économique européenne (CEE) est transformée en Union européeenne (UE).