Journal de l'année Édition 2003 2003Éd. 2003

L'incroyable imbroglio malgache

La Grande Île de l'océan Indien a connu une situation quasiment inédite pendant les six premiers mois de l'année 2002. Un interminable bras de fer s'est joué entre le président sortant, Didier Ratsiraka, et son adversaire de la présidentielle de décembre 2001, Marc Ravalomanana.

Le 16 décembre 2001, les Malgaches se rendent aux urnes pour choisir leur chef de l'État. Ils doivent départager six candidats. Mais l'élection se joue en fait entre deux hommes : le sortant Didier Ratsiraka, au pouvoir pendant vingt-cinq ans avec une courte interruption de 1993 à 1998, et Marc Ravalomanana, prospère homme d'affaires et maire de la capitale, Antananarivo.

Un long dépouillement

Comme toujours, le dépouillement du premier tour est long, très long, à Madagascar. Plus vaste que la France, la Grande île est pauvre en infrastructures de communication. Plusieurs semaines sont donc généralement nécessaires pour réunir les résultats. Cette fois, il ne faudra pourtant « que » quinze jours pour que le ministère de l'Intérieur les annonce : 46,44 % pour Marc Ravalomanana, contre 40,61 % pour Didier Ratsiraka. Officiellement, un deuxième tour est donc nécessaire pour départager les deux hommes. Il n'aura jamais lieu. D'après ses décomptes, M. Ravalomanana remporte l'élection au premier tour avec près de 52 % des voix.

Qui a raison ? Qui a tort ? Nul ne le saura. Chacun s'accuse mutuellement de fraude. De plus, les résultats officiels sont également contestés par un consortium d'observateurs indépendants. Ce qui conforte le maire d'Antananarivo dans son exigence d'obtenir une confrontation des procès verbaux recueillis par les deux camps pour départager les candidats. Didier Ratsiraka s'y oppose, arguant du fait que la procédure n'est pas prévue par la Constitution qui laisse à la seule Haute Cour constitutionnelle (HCC) le soin de proclamer les résultats définitifs. Sauf que l'opposition la soupçonne de rouler pour le chef de l'État sortant. Se considérant désormais comme le président élu, Marc Ravalomanana lance alors ses partisans dans la rue et appelle, mi-janvier, à une grève générale largement suivie dans la capitale, où il compte de nombreux soutiens. Chaque jour, pendant plusieurs semaines, des dizaines de milliers de ses partisans se réunissent dans le centre ville pour réclamer la reconnaissance de sa victoire.

Didier Ratsiraka n'a aucunement l'intention d'obtempérer. Marc Ravalomanana décide alors de s'autoproclamer chef de l'État, le 22 février, devant des milliers de partisans réunis dans un stade d'Antananarivo, en présence d'anciens hauts magistrats et en présence des représentants du clergé, qui lui sont largement acquis.

L'initiative est mal accueillie à l'extérieur. Le secrétaire général de l'Organisation de l'unité africaine, l'Ivoirien Amara Essy, médiateur de la crise, et la France condamnent ce qu'ils considèrent comme une tentative de coup de force. Le maire d'Antananarivo n'en a cure. D'autant que la loi martiale, décrétée les jours suivants par Didier Ratsiraka, n'est tout simplement pas appliquée par une armée qui refuse d'autant moins de tirer sur les partisans de Ravalomanana qu'elle lui est à 80 % fidèle.

Deux présidents

Le pays se retrouve, de facto, avec deux présidents. Le sortant Didier Ratsiraka s'installe dans son fief de Toamasina, principal port du pays, d'où il espère amorcer sa contre-offensive. Fort du soutien implicite de l'OUA, il espère parvenir à récupérer le pouvoir en entamant le blocus de la capitale, enclavée dans les hautes terres. Il compte également sur les gouverneurs qui lui sont encore fidèles dans cinq des six provinces du pays et à qui il ordonne de tout faire pour résister à l'avancée des soldats fidèles à Marc Ravalomanana.

Au fil des semaines, la pénurie commence à gagner la capitale et, d'une manière générale, la situation économique de l'île devient catastrophique, alors que de nombreuses entreprises doivent fermer leurs portes. Les tentatives de médiations se multiplient. Le 18 avril, Marc Ravalomanana et Didier Ratsiraka se rencontrent à Dakar, sous l'égide du président sénégalais Abdoulaye Wade et de plusieurs autres dirigeants africains. Ils signent un texte qui prévoit le recomptage des voix et un référendum si aucune majorité absolue ne se dégage en faveur d'un des candidats. En fait, quelques jours plus tard, la Haute Cour constitutionnelle, dont certains membres ont été remplacés par d'autres plus favorables à Marc Ravalomanana, proclament les résultats définitifs du scrutin du 16 décembre. C'est désormais le tour de Didier Ratsiraka de dénoncer une cour aux ordres du nouveau « président ». Les craintes d'une guerre civile se confirment, alors que les troupes de Marc Ravalomanana entreprennent de prendre les principales villes du pays, dont Mahajanga, un port stratégique au nord-ouest de l'île, Antsiranana, à l'extrême nord, et Toliara, au sud. D'où une nouvelle initiative du président sénégalais et de son homologue gabonais Omar Bongo, qui convoquent littéralement les deux ennemis à Dakar le 8 juin. La rencontre aboutit à un compromis bancal, qui prévoit l'organisation d'élections législatives anticipées avant la fin de l'année. À l'évidence, cette solution ne résout pas la crise.