Journal de l'année Édition 2003 2003Éd. 2003

Europe : des populismes émergent de la crise de la nation

L'entrée de membres de la Liste Pim Fortuyn au gouvernement néerlandais et la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle française ont été les deux coups de semonce « populistes » des scrutins de l'année en Europe. Mais partout sur le continent, des mouvements politiques sécuritaires, anti-immigrationnistes, très eurosceptiques, s'éveillent.

« Mais je couche avec eux, moi, monsieur ! » C'est par cette phrase que Pim Fortuyn, défunt leader de la liste éponyme des élections législatives néerlandaises du 15 mai, répondit un jour à un délégué syndical qui l'accusait de ne pas connaître les travailleurs marocains dont il préconisait l'expulsion. Surgi de nulle part, Fortuyn, dandy charismatique de cinquante-quatre ans à l'homosexualité affichée, avait su exprimer, lors du scrutin municipal du mois de mars précédent, les angoisses d'une large partie de l'électorat pour obtenir 34 % des voix à Rotterdam. Peu avant les législatives, il continuait de surfer sur les remous provoqués par son discours, brocardant l'insécurité, l'immigration et la construction européenne avec un succès croissant.

« Neutraliser les méchants »

Assassiné dans des conditions mystérieuses une semaine avant les élections du 15 mai, il laissait son parti y remporter un triomphe pour devenir la deuxième formation politique du pays. Avec 26 sièges à la nouvelle chambre basse, la liste orpheline Pim Fortuyn entrait au gouvernement sur la base d'un programme ouvertement réactionnaire et pourtant étrangement populaire. « On l'a tué parce qu'il parlait notre langage », murmurait-on dans la foule anonyme qui était venue lui rendre un ultime hommage en sa somptueuse villa de Rotterdam.

Chez les intellectuels, chez les analystes politiques, on appelle ce phénomène du « populisme ». Sans savoir au juste, d'ailleurs, comment le définir. On estime généralement que le populisme se situe franchement à droite, voire à l'extrême droite. Pour le politologue Guy Hermet, auteur de Populismes dans le monde (Fayard, 2001), le mot désigne « avant tout un style politique, plus précisément un style antipolitique », qui se résume à un « refus de la complexité des affaires publiques ». Pour le populiste, ajoute-t-il, tous les problèmes peuvent être « résolus immédiatement » : il « suffit de neutraliser les méchants ». En ce sens, l'insécurité, l'immigration, l'euroscepticisme, voire l'europhobie, constituent trois variations sur un même thème, celui de la peur de l'altérité au sens large : peur du voisin de palier, considéré comme un agresseur potentiel ; hostilité à l'égard du résident étranger, perçu comme un parasite dans les États providences que les pays européens se sont construits au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ; peur enfin devant l'Union européenne, cette entité bruxelloise au fonctionnement bureaucratique qui menace prétendument l'indépendance des nations et, à travers elle, leur souveraineté populaire.

Faire vibrer la corde de l'identité nationale

En Europe, les législatives néerlandaises sont le deuxième coup de semonce politique du printemps. Quelques semaines auparavant, le 21 avril, le chef du Front national, Jean-Marie Le Pen, avait réussi à se hisser au second tour de l'élection présidentielle française, avec un score inespéré de 17,19 %. Le verbe toujours sulfureux, mais sur un ton légèrement assagi, il avait su mobiliser sur des thèmes similaires un électorat morose, déprimé par une campagne électorale sans relief. Ailleurs en Europe, la situation était tout aussi inquiétante. En Autriche, le Parti libéral autrichien (FPÖ) du fils de militant nazi Jörg Haider continuait de participer à la coalition gouvernementale du chrétien conservateur Wolfgang Schlüssel. En Italie, le très médiatique Premier ministre Silvio Berlusconi comptait toujours dans son gouvernement des membres de l'Alliance nationale de Gianfranco Fini, descendante du Mouvement social italien néofasciste, ainsi que de la xénophobe Ligue du Nord d'Umberto Bossi. Dans presque tous les pays de l'Union, un mouvement « populiste » émergeait (voir encadré). En dehors de l'Union, le Mouvement pour une Slovaquie démocratique du turbulent Vladimir Meciar arrivait en septembre, avec 19 % des voix, en tête des élections législatives. Même la très tranquille Suisse voyait, dès 1999, l'Union démocratique du centre de Christoph Blocher devenir la première formation politique du pays.