Tout aussi exigeantes, mais plus évidentes pour le public, deux créations ont particulièrement rythmé la saison du Théâtre national de l'Odéon. La première est le Fil à la patte de Feydeau, mis en scène par Georges Lavaudant. Respectant scrupuleusement les règles du vaudeville, celui-ci les a fait imploser jusqu'à la folie et au délire surréaliste dans le bonheur d'une distribution explosive, dominée par un Patrick Pineau – comédien qui s'est montré aussi le metteur en scène plein d'invention dans la petite salle de l'Odéon d'un texte de Serge Valetti – Monsieur Armand, dit Garrincha. La seconde création est Léonce et Lena de Büchner, présenté par André Engel. En perpétuel équilibre sur le fil de l'enfance et de la – fausse – innocence, le directeur du Centre dramatique national de Savoie a signé un spectacle rare, à la fois doux et amer, heureux et désespéré, porté par une distribution à la complicité hors pair – Isabelle Carré, Jérôme Kircher, Patrick Elmosnino, Évelyne Didi. La scénographie imaginée par Nicky Rieti y a été aussi pour beaucoup, ne livrant le décor que par morceaux à l'œil du spectateur, au travers de rectangles qui s'ouvrent et se ferment à l'instar des diaphragmes d'appareils photographiques. D'autres créations ont marqué le cours de l'année, qu'il serait injuste d'oublier, tels le Cercle de craie caucasien de Brecht, mis en fête et en images par Benno Besson au Théâtre national de la Colline, ou Feydeau-Terminus selon Didier Bezace, au Théâtre de la Commune d'Aubervilliers, avec Anouck Grinberg ; tels les Bonnes de Jean Genet revisitées par Alfredo Arias à l'Athénée, ou les Travaux et les Jours de Michel Vinaver, mis en vie dans une suite de frémissements bouleversants par Marie Lazarini à l'Artistic-Athévains, à Paris ; tels l'Otage et l'Échange de Claudel. La première a été mise en scène au printemps au Théâtre de Gennevilliers par Bernard Sobel – qui doit la reprendre en 2002, en alternance avec le Pain dur ; la seconde a été présentée à l'automne par Jean-Pierre Vincent au Théâtre des Amandiers de Nanterre. Il s'agissait d'un spectacle d'adieu puisque Vincent a quitté ses fonctions de directeur de théâtre le 31 décembre, remplacé par Jean-Louis Martinelli, ex-directeur du Théâtre national de Strasbourg.

Nouvelle donne pour nouveaux nommés à la tête des institutions

Marcel Bozonnet à la tête de la Comédie-Française

Ce départ pourrait ne relever que de l'anecdote. Il s'inscrit pleinement, de fait, dans un mouvement qui risque fort, bientôt, de transformer le paysage théâtral : celui des nominations de nouvelles personnalités à la tête des centres dramatiques et des théâtres nationaux. Par un hasard de calendrier, ils auront été particulièrement nombreux à changer cette année. C'est ainsi que Roger Planchon, figure historique de la décentralisation et directeur depuis trente ans du TNP à Villeurbanne, a passé la main à Christian Schiaretti – ancien directeur de la Comédie de Reims, qui a, lui-même laissé sa place à Emmanuel Demarcy-Mota –, « jeune » metteur en scène remarqué de Pirandello, avec Six Personnages en quête d'auteur au Théâtre de la Ville, à Paris. Metteur en scène très subtil de Genet avec les Paravents, Alain Ollivier a quitté le Studio-Théâtre de Vitry pour reprendre le Centre dramatique national de Saint-Denis. Cofondateur du Théâtre de l'Aquarium dans les années 1970, Jean-Louis Benoît, tout auréolé du travail accompli sur place et de ses dernières mises en scène à la Comédie-Française – dont un Bourgeois gentilhomme avec Michel Robin –, est parti à Marseille prendre possession du Théâtre national de la Criée. Mais la nomination la plus lourde de sens est sans aucun doute celle de Marcel Bozonnet à la tête de la Comédie-Française. Première scène de France tant du fait de son prestige que de son budget, celle-ci peut redevenir ce qu'elle avait fini par ne plus être : le cœur même du théâtre français.

Molières 2001

– Meilleure comédienne : Corinne Jaber, dans Une bête sur la Lune