L'actualité internationale n «y aura rien fait. Elle n'aura pas rejailli sur l'humeur des spectateurs. Même au plus fort de la crise afghane, alors que la hantise des attentats gagnait nombre de pays occidentaux, le public français n'a pas bronché.

Théâtre 2001, une année de transition

Didier Méreuze

Plan Vigipirate ou non, le public a continué à se rendre dans les théâtres, toujours aussi nombreux. Si quelques salles ont subi durant les mois de septembre et d'octobre une baisse de fréquentation, cela tient essentiellement au fait que les radios et les télévisions, occupées par les frappes américaines sur l'Afghanistan, ont renoncé à nombre de reportages culturels, privant du même coup les créations de toute publicité.

Les affiches du privé

Cinq molières pour Une bête sur La lune, mise en scène par Irina Brook

Cela n'a pas empêché les théâtres privés de poursuivre leur politique de tête d'affiche, de Philippe Noiret reprenant l'Homme du hasard de Yasmina Reza à l'Atelier, à Pierre Arditi dans Joyeuses Pâques aux Nouveautés, en passant pas Michel Aumont qui a révélé avec le Grand Retour de Boris S. un nouvel auteur, Serge Kribus, au théâtre de l'Œuvre. Présent dès l'automne au Théâtre de Paris, Michel Leeb, flanqué de Caroline Tresca, a triomphé en travesti dans Madame Doubtfire, adaptation du célèbre film américain de Chris Colombus avec Robin William. À la même époque, au Théâtre Édouard VII, Michel Piccoli exhumait la Jalousie, une comédie oubliée de Sacha Guitry. Juste auparavant, à l'Atelier, Romane Bohringer était l'interprète de la Ménagerie de verre. Cette œuvre, parmi les plus fortes de l'Américain Tennessee Williams, était mise en scène par Irina Brook – la fille du metteur en scène Peter Brook, révélée par sa mise en scène d'Une bête sur la Lune, qui a remporté cinq molières au mois de mai. Au Marigny, c'est Francis Huster que l'on a pu applaudir dans Crimes et Châtiments, mis en scène par Robert Hossein, tandis que dans la petite salle du même théâtre, Roger Hanin créait Une femme trop parfaite de... Roger Hanin.

Le Festival d'Avignon en vitrine

Une magistrale Mort de Danton par Thomas Ostermeier

Cependant, la plus belle affiche aura été proposée dans le secteur « subventionné » avec Bérénice au Théâtre national de Chaillot : la mise en scène était signée Lambert Wilson. Présent lui-même sur le plateau dans un premier temps dans le rôle d'Antochius (confié par la suite à Robin Renucci), celui-ci était entouré de la star anglaise Kristin Scott Thomas (Bérénice) et de Didier Sandre (Titus). Les costumes étaient de Christian Lacroix. De quoi créer un événement chic, à défaut d'être choc – hormis l'idée bizarre de transposer la tragédie de Racine dans l'Italie mussolinienne, l'audace n'a jamais dépassé le stade de la sage convention. Lors de la création du spectacle, deux mois plus tôt, la cohue pour y assister avait été extrême : c'était au cloître des Carmes, pendant le Festival d'Avignon. Intrigante au premier abord, l'invitation de cette production très « grand public » dans le cadre du plus prestigieux des festivals de théâtre n'était pas si incongrue : elle correspond à révolution d'une manifestation qui s'est transformée au fil des temps en simple vitrine de la production courante. La place trop furtive faite aux « jeunes » compagnies présentes le temps de trop peu de représentations dans de trop petites salles pour être suffisamment vues par le public et marquer durablement le festival n'a fait que renforcer ce sentiment – de même que la multiplication des invitations faites à trop de spectacles, déjà créés et montrés à travers toute la France, venus achever leur existence sous le ciel avignonnais – notamment Bérénice mis en scène par Frédéric Fisbach, Combat de nègres et de chiens de Bernard-Marie Koltès par Jacques Nichet, le Pays lointain de Jean-Luc Lagarce par François Rancillac. Ouvert par une mise en scène très fine (mais manquant quelque peu de chair) de l'École des femmes, par Didier Bezace, avec Pierre Arditi et Agnès Sourdillon, le festival n'en a pas moins des moments heureux : dans la cour du lycée Saint-Joseph, Bernard Sobel a revu et corrigé Ubu d'Alfred Jarry sur les notes explosives de l'Internationale avec le Centre dramatique national de Gennevilliers et un Denis Lavant très « sale gosse » dans le rôle-titre ; sous la nef de l'église des Célestins, les plasticiens-performers-auteurs-acteurs-metteurs en scène Odile Darbelley et Michel Jacquelin ont proposé Un lièvre qui a des ailes est aussi un animal – délicieux triptyque placé sous le signe de l'incongru et de Duchamp ; au gymnase du lycée Saint-Joseph, Serge Maggiani s'est fait l'interprète délicat de Je poussais donc le temps avec l'épaule – adaptation délicate de Proust par Charles Tordjman, directeur du Centre dramatique national de Nancy ; au Théâtre municipal, Vincent Colin et le Centre dramatique national de la Réunion ont repeint aux couleurs dansantes de l'océan Indien et de la Namibie les Mariés de la tour Eiffel de Cocteau. Enfin, et surtout, on applaudit la magistrale Mort de Danton proposée par l'Allemand Thomas Ostermeier, jeune directeur à tout juste trente ans de la célèbre troupe de la Schaubühne. Écrit dans les années 1830, ce drame historique raconte les derniers jours du combat entre Danton et Robespierre. Éclairé à la lumière des années 2000 et d'une Allemagne encore sous le choc de la chute des régimes socialistes et du mur de Berlin, il s'est montré d'une acuité terrible dans un monde sans repères, renvoyant dos à dos le « Tribun du peuple » et l'« Incorruptible ».