Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

Après quelques essais pas toujours réussis, ces derniers temps, les frères Coen retrouvent un nouvel équilibre avec The Barber, un drame existentiel situé à la fin des années 1940 et où le travail sur la distanciation est si élégant et discret qu'on pense vraiment avoir affaire à un film hollywoodien d'époque avec une pointe d'ironie en plus. Sean Penn, lui, met de côté tout esprit de parodie et donne, avec The Pledge, un superbe polar, sans courses ni poursuite, grâce à la performance du merveilleux Jack Nicholson dans le rôle ambigu d'un vieux flic à la retraite poursuivant un problématique assassin qui aurait échappé à la justice. Le cinéaste se concentre sur les rapports humains et de pouvoir en laissant la fin ouverte : le policier a-t-il ou non raison ? On ne le saura pas.

Mais le manque d'ironie ne convient pas à tous les cinéastes. Le talentueux Tim Burton se plante totalement dans le remake inutile de la Planète des singes. Film enfantin, voire infantile : le merveilleux sens du délire fait ici défaut à l'auteur, qui nous gratifie d'un pensum aussi cher que dénué d'intérêt.

Réputé pour être un des rares cinéastes de sa génération à éviter tout recours à l'humour dans ses films fantastiques, John Carpenter, s'il demeure fidèle à cette méthode dans Ghosts on Mars, n'arrive plus à maîtriser son sujet, qui demeure une vague copie d'un téléfilm fantastique. Signalons, dans le registre du loufoque assumé, Destination Graceland de Damian Lichtenstein, où le mythe d'Elvis Presley sert de prétexte à un thriller ébouriffant qui voit cinq malfrats se déguiser en « kings » afin de piller un casino de Las Vegas où se déroule une convention dédiée au célèbre chanteur. De très bonnes idées de départ sont gâchées par la vaine lutte des deux vedettes Kevin Kostner et Kurt Russell qui n'en finissent pas de tirer la couverture à eux : dommage !

Enfin, le film de ghetto, qui fit jadis la renommé de Spike Lee (Do the Right Thing, 1989), s'enlise dans le pastiche inconsistant. Spike Lee lui-même réalise un film des plus ambigus, The Very Black Show : un animateur de télévision noir propose un show où tous les gens de couleur seraient ignobles et arriérés comme dans les films des années 1930. La satire passe mal et les défauts des Noirs sont plus nombreux que leurs qualités. Les choses sont encore aggravées par Spoof Movie de Paris Barclay (une bande produite par les frères Wayans, auteurs de Scary Movie 1 et 2, pastiches très lourds des films d'horreur), qui met en avant, sans vergogne, les défauts les plus criards des Afro-Américains, battant sur certains plans bien des films ouvertement racistes.

Ailleurs

Le cinéma de Taïwan aura de nouveau dominé la production asiatique

L'Asie domine encore la production de qualité cette année avec deux films venus de Taïwan : Millenium Mambo, du vétéran Hou Hsiao-sien, suivi de Et là-bas, quelle heure est-il ? de Tsai Ming-liang, tous deux remarqués à Cannes. Après une série de films intimistes dans les années 1980 (Un été chez grand-père, 1984 ; la Cité des douleurs, 1989), Hou s'était fourvoyé dans des recherches stylistiques un peu ésotériques. Il trouve, ici, un ton très juste pour évoquer le sort de la jeunesse moderne. Tsai Ming-liang, lui, nous donne une merveilleuse élégie sur la solitude de plusieurs êtres, une mère, son fils et une jeune fille aimée par ce dernier et qui part à Paris, avec un style d'une rare élégance.

Cette année, il se passe vraiment des choses en Iran. La critique occidentale a souvent porté aux nues, par le passé, des films qui décrivaient simplement le quotidien des habitants de ce pays, sans réellement mettre en cause le régime. Les quatre films vus cette année amorcent un changement. Le Cercle de Jafar Panahi (le film le plus audacieux jamais tourné depuis l'arrivée des islamistes au pouvoir) est une peinture sans concession sur le sort des femmes. Jamais ce pays n'avait été montré sous un jour aussi noir : on se croirait au temps de l'Occupation, il faut fuir à tout moment les contrôles de police. Quoique moins sombre, Djomeh de Hassan Yektapanah narre les difficultés d'un émigré afghan qui se heurte à de nombreux préjugés, notamment xénophobes, qui l'empêchent d'épouser la fille qu'il aime. Tourné avant les événements tragiques du 11 septembre, Kandahar de Moshen Makhmalbaf nous montre, à travers l'odyssée d'une journaliste afghane établie au Canada et qui retourne sur place pour porter secours à sa sœur, une vision apocalyptique faite aux femmes dans ce pays... voisin de l'Iran. Quant à Abbas Kiarostami, il abandonne l'Iran, dans ABC Africa, et tourne avec un organisme délégué par l'ONU un film sur les méfaits du sida. Principal cinéaste italien encore en activité, Nanni Moretti nous donne, avec la Chambre du fils (Palme d'or à Cannes), un des meilleurs films de l'année. À travers un sujet dont tout le monde peut faire l'expérience, la mort d'un enfant, Moretti nous fait une œuvre-somme sur la vie professionnelle (le héros joué par Moretti est psychanalyste), les rapports de couple, le sens de la vie. Tout cela d'une manière fluide qui ne fait absolument pas didactique.

2001 aura été une bonne année pour le cinéma français. On ne sait si les techniques numériques vont se généraliser et surtout s'il se trouvera des artistes qui sauront tirer le maximum de ce langage. Les attentats du 11 septembre ont empêché la promotion de pas mal de films américains en Europe, mais le cinéma résiste à cette crise. On ne sait pas non plus comment, dans cette grave période de mutation, les choses vont évoluer pour le 7e art.