Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

Issues pour la plupart de la FEMIS (École nationale supérieure des métiers de l'image et du son), créée en 1984 et qui prit la suite de l'IDHEC, les cinéastes françaises ont été très nombreuses cette année à se faire remarquer. Désormais, ce sont elles qui affrontent sans faux-semblants les problèmes liés au désir et en modifient la vision un peu convenue qui prévalait jusque-là. Catherine Breillat, avec À ma sœur, ausculte au plus près la sexualité des adolescentes, tandis que Claire Denis scrute, dans un faux film de genre Trouble Every Day, les pulsions de mort qui sont partagées à parité entre hommes et femmes. Béatrice Dalle est troublante dans ce film perturbant et atypique dans notre cinématographie. Avec Chaos, Coline Serreau offre un regard « grand public » sur l'exclusion, le machisme et la prostitution. Plus proches d'un style de cinéma réaliste qui rappelle Maurice Pialat pour Anne Fontaine (Comment j'ai tué mon père) ou Paul Vecchiali pour Marion Vernoux (Reines d'un jour), ces réalisatrices renouvellent le cinéma d'acteur (et d'actrices) tel que le cinéma français en a toujours été friand, mais avec un regard éminemment moderne.

Le cinéma français de ce début de décennie est donc un cinéma profondément ancré dans la réalité sociale et humaine de son temps, décentralisé (de nombreux films se font désormais hors de Paris) mais d'une manière complexe, dialectique, sans discours idéologique précédant l'action. Le réalisateur marseillais engagé Robert Guédiguian (la Ville tranquille) rejoint dans sa peinture d'une société, d'une époque où il faut d'abord poser des questions avant de trouver des réponses, l'auteur post-nouvelle vague André Téchiné (Loin) dans une même vision polysémique de notre temps où espoir, désir et marginalité sont entièrement à repenser.

Ancien court-métragiste doué, François Ozon n'avait pas réussi à trouver sa voie lors de son passage au long-métrage et hésitait entre la pochade horrifique (Sitcom, 1998) et l'imitation de Fassbinder (Gouttes d'eau sur pierres brûlantes, 1999). Avec Sous le sable, il utilise un canevas vaguement policier pour aborder, comme ses collègues, les questions liées aux difficultés existentielles. Et il réussit son meilleur film. Après une longue absence, Jean-Jacques Beineix revient au tout devant de la scène avec un flamboyant thriller psychanalytique, Mortel transfert, film hélas qui n'eut pas le succès escompté.

Deux cinéastes, enfin, prennent le désir et sa ramification comme sujet central (et exclusif) de leur film : Patrice Chéreau, avec Intimité, et l'Autrichien Michael Hanecke avec la Pianiste, œuvre dans laquelle Isabelle Huppert tient un rôle dur qui lui valut le prix d'interprétation féminine au Festival de Cannes.

Pourtant, c'est un film atypique, le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet, qui attira le plus les Français. Cela reste un mystère même si on tente de l'expliquer par le message qui s'en dégage : une jeune femme qui veut faire le bonheur de son entourage. Le film rappelle, par bien des côtés, un certain cinéma des bons sentiments des années 1950, très loin des œuvres dures dont la production actuelle n'est pas avare. Ceci expliquant peut-être cela.

Un peu partout dans le monde, et aussi en France, les tournages en numériques se multiplient. On évoque souvent de questions budgétaires, mais souvent c'est un choix esthétique. Éric Rohmer, qui a compris depuis Perceval le Gallois (1978) qu'on ne pouvait restituer le passé que sous forme stylisée, utilise toutes les ressources de création de décors que permettent les techniques du numérique pour donner, avec l'Anglaise et le duc, un vrai chef-d'œuvre sur les à-côtés de la Révolution française.

Ancien spécialiste des effets spéciaux (notamment ceux, étonnants, d'Alien la résurrection), Pitof crée, avec Vidocq, une œuvre totalement irréaliste et fabuleuse et met la création d'effets numériques aux postes de commande. Dans ce contexte, la caméra de l'esthète vole la vedette à Depardieu. Mais où le bât blesse, c'est au niveau du scénario, qui reste assez plat. Il faut, pour une nouvelle technique, trouver un langage adéquat et peut-être une autre manière de raconter des histoires.

Festival de Cannes

– Palme d'or : la Chambre du fils, de Nanni Moretti (Italie)