Union sacrée de l'APEC à Shanghai

Le terrorisme international s'est imposé à l'ordre du jour du Forum de l'APEC à Shanghai. Chacun des trois grands pays de la zone – États-Unis, Russie et Chine – y a trouvé le soutien des deux autres à sa propre politique, sous couvert d'une unanimité de façade dans la lutte contre le terrorisme.

Ce sera certainement l'image que l'on retiendra du Forum de la coopération économique Asie-Pacifique (APEC) réuni à Shanghai du 19 au 21 octobre : le président chinois, hôte du sommet, et ses homologues américain et russe posant devant les photographes, vêtus de vestes traditionnelles chinoises. Cette image des trois hommes habillés à l'identique renvoie à la fois à l'idée d'uniforme, qui traduit leur unanimité face au problème du terrorisme international, et à l'idée de déguisement, qui illustre une réalité tout aussi partagée, celle de la realpolitik, qui fait qu'une alliance sert d'abord des objectifs particuliers à chacun des « alliés ».

Le Bien et le Mal

L'APEC, qui regroupe vingt et un pays de la zone Asie-Pacifique représentant 60 % du PIB mondial et 50 % du commerce international, est en principe un forum économique destiné à accélérer la libéralisation des échanges. Orchestrée cette année par Pékin, la réunion des chefs d'État et de gouvernement de la région devait célébrer l'adhésion annoncée de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). L'actualité en a modifié le propos, mais pas l'étendue du profit diplomatique que la Chine comptait tirer de l'événement. Pékin s'est fait une place de choix sur la nouvelle grille internationale, dont les directions antagonistes ne sont plus l'Est et l'Ouest ni le Nord et le Sud, mais le Bien et le Mal.

Le premier effet marginal du Forum de Shanghai, dans ce nouveau contexte, a été l'occasion qu'il a offerte au président chinois Jiang Zemin et à son homologue américain George W. Bush de se rencontrer pour la première fois. Les deux dirigeants ont ainsi scellé le réchauffement sino-américain en cours, après un début d'année très froid, marqué par l'affaire de l'avion espion américain, les arrestations par la Chine d'universitaires sino-américains soupçonnés d'espionnage et les ventes d'armes américaines à Taïwan.

Le nom d'Oussama Ben Laden n'est pas évoqué

La déclaration finale du Forum de l'APEC « condamne sans équivoque [et] dans les termes les plus vifs » les attentats du 11 septembre aux États-Unis. Le terrorisme, « dans toutes ses formes, où qu'il soit perpétré [...] et par qui que ce soit », constitue « une profonde menace pour la paix, la prospérité et la sécurité des peuples », affirme le texte. La déclaration propose l'adoption de mesures techniques de lutte contre le terrorisme comme la neutralisation de ses réseaux de financement, l'amélioration du fonctionnement des douanes ou le renforcement de la sécurité dans les ports et les aéroports. Sur le plan politique, c'est aux Nations unies d'assumer leur « rôle majeur », indique la déclaration. L'opération américaine « Liberté immuable » n'est ainsi pas directement cautionnée par les autres membres de l'APEC. La déclaration n'évoque ni le nom d'Oussama Ben Laden ni celui de son réseau Al-Qaida. Si le président Bush a obtenu le soutien de Jiang Zemin et de Vladimir Poutine à son intervention en Afghanistan, il n'a pas vaincu la résistance des pays asiatiques à majorité musulmane, principalement l'Indonésie et la Malaisie. Sous couvert de considérations humanitaires et de volonté de privilégier une « réponse collective et internationale » au terrorisme, Djakarta et Kuala Lumpur entendaient surtout ne pas laisser à leur opposition islamiste le monopole de la critique des bombardements américains. Jiang Zemin a également fait part à George Bush de sa préoccupation de s'en tenir à « des cibles clairement définies », d'« éviter les victimes civiles » et de laisser l'ONU jouer un rôle dans le règlement du conflit. Vladimir Poutine a montré moins de scrupules. Il a jugé la riposte américaine « mesurée et appropriée », et a encouragé les États-Unis à la poursuivre : « Si on démarre cette lutte, il faut la terminer », a-t-il affirmé. Le président russe a parfaitement été entendu par son homologue américain qui a estimé que « les défis et les buts que nous partageons fournissent l'occasion de repenser et de renouveler une relation plus large ».

Grand écart

Car cette union sacrée contre l'entité mal définie du « terrorisme international » cachait de la part de chacun des nouveaux alliés des arrière-pensées beaucoup plus précises. Les États-Unis entendaient obtenir la bienveillante neutralité de la Russie et de la Chine à l'égard du caractère unilatéral de leur opération en Afghanistan : cela est fait. En retour, la Russie et la Chine, en plus de fonder sur de nouvelles bases leur partenariat avec les États-Unis, voulaient obtenir la bénédiction de Washington, ou tout au moins son silence, au sujet de la répression de leurs « terrorismes » internes, tchétchène pour l'un, ouïgour – voire tibétain – pour l'autre. Et la déclaration de George Bush, lors d'une conférence de presse, comme quoi « la guerre contre le terrorisme ne doit pas servir d'excuse pour persécuter les minorités », ne devait être prise que pour l'expression du grand écart qu'entraîne parfois l'exercice de la realpolitik.