Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

La lourde tâche de l'« Indien » Toledo

« Le temps ? Ne vous en occupez pas... C'est nous qui avons la maîtrise du temps. » C'est avec ces mots que W. Montesinos, l'éminence grise du président Fujimori, répondait au député de l'opposition qui, filmé à son insu, avait accepté de s'aligner avec le régime – en échange de 15 000 dollars –, et qui s'interrogeait sur le temps devant s'écouler avant d'annoncer publiquement son ralliement.

La diffusion télévisée de cet enregistrement et l'indignation populaire devaient amorcer la débâcle d'un système patiemment bâti pendant des années. Dès lors, la vie politique et judiciaire péruvienne a été rythmée par la dénonciation et l'étalage de la corruption généralisée au sein de l'appareil étatique et militaire, et la complicité avouée d'un grand nombre de personnalités publiques de premier plan.

La chute du « Raspoutine des Andes »

Face à la contestation de la rue, M. Fujimori, qui venait d'être élu pour un troisième mandat, a dû convoquer en septembre 2000 de nouvelles élections générales. Avant de quitter le pays, en novembre 2000, pour se réfugier au Japon, où il réside en tant que citoyen japonais, avec l'accord des autorités nippones qui refusent pour l'instant son extradition vers le Pérou.

Après une courte clandestinité péruvienne et centraméricaine, l'ancien conseiller et bras droit du président, M. Montesinos, a, quant à lui, profité des complicités vénézuéliennes de haut niveau, avant d'être capturé et rendu à la justice péruvienne, grâce à l'intervention de ses anciens employeurs, les services secrets nord-américains. Payé en liquide, à hauteur de 1 million de dollars par an, depuis plus d'une décennie, le « Raspoutine des Andes » ne faisait plus l'affaire de l'espionnage yankee et a dû être sacrifié. La fortune accumulée à l'étranger par l'ex-conseiller n'a pas encore été complètement évaluée. Mais les estimations effectuées chiffrent à plusieurs centaines de millions de dollars le montant de ses comptes bancaires. Ses contacts étroits avec la mafia internationale, sa participation directe dans le trafic de drogues et d'armes (avec mainmise sur l'armée péruvienne) et son rôle d'intermédiaire avec des entreprises étrangères permettent d'expliquer l'enrichissement soudain de cet ancien officier de l'armée de terre, qui en avait été exclu, en 1976, pour cause de vente d'information à la CIA.

L'instrument du pouvoir de MM. Fujimori et Montesinos, celui qui leur donnait l'impression de tout contrôler, a été le Service d'intelligence nationale (SIN). Cet organisme a progressivement soumis les instances législatives, judiciaires et électorales de l'État, et les organismes de direction des armées et de la police. Doté de 70 000 agents de renseignement et de plusieurs brigades paramilitaires, le SIN a pu disposer d'un budget annuel de 600 millions de dollars provenant des fonds secrets, qui étaient utilisés sans aucun contrôle.

Victoire de l'« Indien »

Jouant sur ses origines indiennes et sur ses succès personnels, Alejandro Toledo, l'« Indien », a pu rassembler un vaste courant d'opposition au régime, qu'il a ensuite transformé en atout pour sa propre campagne présidentielle. Néanmoins, M. Toledo n'a pas réussi son pari de se faire élire dès le premier tour. Des révélations sur sa vie familiale passée, l'apparition d'un enfant putatif et les soupçons à propos de sa consommation répétée de drogue, ont porté atteinte à son image et à sa crédibilité. Ce qui a permis que l'ex-président Alain Garcia, qui avait quitté le pouvoir en 1990 (et même le pays, un peu plus tard), après une gestion désastreuse marquée par la corruption et le chaos économique, ait pu devenir un challenger inattendu et dangereux. Le débat électoral n'a jamais décollé et les programmes des deux candidats n'ont pas suscité l'intérêt des électeurs. Ceux-ci n'ont pas été enthousiasmés par des propositions qui toutes, les unes plus que les autres, ont préconisé le maintien des critères économiques orthodoxes, à l'instar des conseils des organismes financiers internationaux, tel que cela se passait à l'époque de M. Fujimori.