Dans ce maelström de commentaires pour pages société des magazines, il n'est jamais question de cinéma. Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi l'ont compris. Elles n'en parlent pas. »

Olivier Joyard

Les Cahiers du cinéma, no 548, juillet/août 2000

Le retour du mysticisme

Quatre films américains, dont l'intérêt primordial, et peut-être le message qu'ils font passer, est d'ordre visuel, sensitif plus que rationnel, Résurrection de Russell Mulcahy, Dogma de Kevin Smith, Stigmata de Rupert Wainwright, The Cell de Tarsem Singh, remettent le mysticisme à l'honneur. Résurrection et Stigmata relèvent du genre fantastique. Le premier film montre un « serial killer » qui tue des femmes pour reconstituer le corps du Christ.

Dans Stigmata, une jeune femme est victime de manifestations surnaturelles qui laissent des marques sur son corps. La venue du nouveau millénaire, l'interrogation devant l'incertitude du futur engendrent ce type de films qui traduisent la peur à l'état pur, comme ce fut le cas dans les années 1970 avec l'Exorciste ou la Malédiction, qui marquaient, à leur manière, l'effet du choc pétrolier dans la conscience des gens. On recherche toujours une divinité providentielle pour donner des solutions aux frayeurs. Ce genre de cryptage a donc souvent lieu en période de crise où on en appelle à des divinités salvatrices. Dogma et The Cell prennent un peu leurs distances avec ce matériau de base. Dogma (qui n'a rien à voir avec les préceptes de Lars von Trier) est une fable sur deux anges venus sur Terre pour remettre de l'ordre dans le monde. Cette farce, due à Kevin Smith, un jeune cinéaste prometteur qui avait réalisé il y a quelques années Clerks, un film contemporain à la Cassavetes, est néanmoins rempli d'une culture que, faute de mieux, on peut appeler « new age », et qui fait du mysticisme une valeur clé de notre société. Cette dimension irrationnelle se retrouve dans The Cell, film intelligent et plastiquement superbe. Une psychiatre, incarnée par la star latino Jennifer Lopez, doit pénétrer dans l'esprit d'un criminel pour mettre au jour le fonctionnement de son psychisme. À l'intérieur, on se trouve confronté au plus hallucinant des bestiaires. Le cinéaste a calqué son sujet sur la « cyber-punk culture », sauf que son monde virtuel à lui est l'inconscient d'un criminel qui s'étend ici à la dimension d'un véritable univers.

Prenant le contre-pied de cette démarche, quelques films démontent, parfois intelligemment, le genre fantastique qui, en dehors de ces flambées de mysticisme, ne se survit que par le pastiche. Dans Scream 3, Wes Craven démonte le premier opus de la série (Scream, 1996), en faisant un film dans le film qui détruit tout subtexte en dénonçant la nature effectivement artificielle de l'ensemble. Ce type de fantastique ne renvoie plus à des mythes fondateurs (Frankenstein, Dracula) mais à la culture cinématographique du jeune spectateur qui se trouve là en terrain privilégié. En somme, une sorte d'art poétique sans sujet. Joe Berlinger donne une suite au Projet Blair Witch, le phénomène le plus incroyable de l'année 1999, un film tourné à la caméra numérique pour 100 000 dollars et qui en rapporta 150 millions. Ce qui séduisait dans le premier opus, c'est que tout demeurait en suspens : les étudiants partis filmer un documentaire sur une légende horrifique disparaissent et le film était présenté comme la bobine qu'on avait retrouvée ; or il ne s'y passe rien, l'aspiration du vide créant la terreur. Blair Witch 2, le livre des ombres met les points sur les i, de manière très hollywoodienne. Un long-métrage – les films dans le film eux-mêmes mis en abyme sont légions dans ces œuvres référentielles et sans contenu psychologique propre – ayant été tourné sur ces mystérieuses disparitions, des touristes vont sur les lieux. Il leur arrive des tas de choses mais qu'on nous détaille, cette fois-ci, enlevant tout mystère au projet, qui devient un film de série ordinaire.

Plus original, Scary Movie, tourné par l'Afro-américain Keenan Ivory Wayams, s'attaque, en prenant des classiques de la culture adolescente, Scream, Souviens-toi l'été dernier ou le Projet Blair Witch, aux codes du genre en mêlant les intrigues de divers films, n'existant eux-mêmes que comme symptômes d'une certaine dégénérescence du genre. Une sorte de film-miroir de toute la production récente qui se double d'une intéressante analyse sociologique de la jeunesse actuelle.

Les films choraux

Cette année, on note la présence de quelques films qui suivent les destins croisés de nombreux personnages et nous donnent une vision transversale de la société où sont saisies les aspirations de diverses catégories d'individus, d'âges, de conditions et de sexes différents. À l'attaque ! de Robert Guédiguian en était un bon exemple qui, en plus, en offrait un mode d'emploi : le garagiste, son ami, le patron, l'amoureux transi, etc., chacun était retouché par les scénaristes qui ébauchent le projet devant nous. Quatre autres films explorent avec bonheur ce filon : American Beauty, film américain de l'Anglais Sam Mendes, Magnolia de Paul Thomas Anderson, Code inconnu de l'Autrichien Peter Hanecke et Yi Yi du Taïwanais Edward Yang.