Le vrai chef-d'œuvre, le véritable film « sadien » de l'année demeure les Blessures assassines de Jean-Pierre Denis, qui revisite le cas des sœurs Papin (deux servantes qui assassinèrent leurs patrons en 1933), exalté par les surréalistes et à l'origine de la pièce de Jean Genet les Bonnes. Denis, auteur rare et très méticuleux, analyse tous les aspects de cette affaire : social, sexuel (l'inceste) et montre une France vivant encore, à cette époque, comme au xixe siècle.

Le film écrit, soigneusement scénarisé, s'est fait remarquer à travers deux films : Une femme d'extérieur de Christophe Blanc et le Goût des autres d'Agnès Jaoui. Cette dernière jouant dans les deux films le rôle d'une femme ordinaire au profil très différent de l'image de la star glamoureuse qu'on nous impose souvent.

L'année s'est terminée par un sinistre historique. Le film de Terry Gilliam, L'homme qui tua Don Quichotte, majoritairement produit par la France, et qui comptait dans sa distribution Johnny Depp, Vanessa Paradis et Jean Rochefort, a été interrompue à cause d'une hernie contractée par ce dernier. Aux dernières nouvelles, le projet est abandonné, créant un véritable désastre tant financier qu'artistique.

Dans un tout autre domaine, mais qui concerne la culture au plus haut point, une véritable première a eu lieu à la Cinémathèque française. Sous l'impulsion de Nicole Brenez (universitaire) et Christian Lebrat (éditeur), une vaste rétrospective de cinéma d'avant-garde français (intitulée « Jeune, dure et pure ! », titre inspiré d'un film de Maurice Lemaître) s'est tenue aux mois de mai et juin 2000 et se poursuit, un vendredi sur deux jusqu'en juillet 2001, dans la salle des Grands-Boulevards, de la vénérable institution. On a pu voir des œuvres qui remontent au pré-cinéma – à une époque où le cinéma dans son ensemble était un vaste champ d'expériences (les chronophotographies d'Étienne Jules Marey, les « disques » de Georges Demenÿ) –, puis aux pionniers Lumière et Méliès, à l'avant-garde historique des années 1920 (Man Ray, Germaine Dulac, Henri Chomette). La manifestation a balayé toutes les décennies n'oubliant ni le lettrisme des années 1950, ni l'underground des années 1960, ni toute la floraison apparue depuis les années 1970 quand la France s'est dotée de coopératives de cinéma indépendant (le collectif Jeune cinéma, fondé en 1971, fut la première de ces structures qui permirent aux cinéastes expérimentaux de prendre conscience de leur identité). Une démarche de légitimation exemplaire qui donnera lieu à l'édition d'un ouvrage de plus de 500 pages à paraître au début de l'année 2001 sous le même intitulé que la manifestation. Il s'agit d'une première mondiale. Il est vrai qu'aucun autre pays, pas même les États-Unis, n'a établi, balisé à l'échelon national, l'historique de ce cinéma, qui mit toujours l'image au premier plan de ses préoccupations et créa une culture visuelle dans laquelle les clips et toutes les nouvelles technologies n'en finissent pas de puiser.

La multiplication des coproductions et une certaine léthargie du cinéma américain qui donne, annuellement, son quota de films d'action ou de science-fiction, nous conduisent à envisager le cinéma international sous un angle thématique plus révélateur que celui de ses origines nationales.

Le retour de la censure ?

« Baise-moi, premier film de la romancière Virginie Despentes coréalisé avec l'énergique Coralie Trinh Thi, a porté quelques jours sur nos épaules hargneuses une révolution. Non pas cinématographique mais juridique, donc politique, et par les vocations qu'elle pourrait susciter, probablement esthétique... Le film a d'abord échappé au classement X qui calmait les ardeurs de cinéastes intéressés par le sujet (Breillat, évidemment). La décision, prise par Catherine Tasca, ministre de la Culture, a fait bondir d'un même élan pas si contradictoire, curés et apparentés et militants du progressisme. La victoire des premiers, qui ont obtenu du Conseil d'État un hypocrite désaveu de la ministre, sinon qu'elle met en danger la santé financière du film, dont les fructueuses ventes à l'étranger étaient assorties de l'obligation de présenter un visa de censure dans les formes. Il faudra attendre sa sortie en vidéo pour que Baise-moi redevienne visible. Pour le reste la porte est ouverte. Le débat a déjà lieu. La loi de 1975 n'existera bientôt plus. C'est une excellente nouvelle.