C'est à l'Opéra de Paris que revient la palme baroque 1999. Avec Haendel tout d'abord, dont l'Alcina faisait son entrée au répertoire de Garnier deux cent soixante-quatre ans après sa création au Covent Garden de Londres, dans une production mêlant authenticité et actualité. L'authenticité était assurée par la présence dans la fosse légèrement surélevée des Arts florissants et de William Christie. L'actualité était fournie par une scénographie plongeant dans les années 1930 une partition pourtant fortement estampillée Siècle des lumières. Mais le baroque se prête à tout, d'autant que la vision de Robert Carsen est fine, la direction d'acteurs soulignant la vérité dramatique que Haendel a insufflée à ses personnages. Pas moins de quatre divas se partageaient l'affiche, et, si les puristes n'ont su trouver leur content avec Renée Fleming, celle-ci s'impose comme une émouvante Alcina. À ses côtés, la Morgane incarnée par Nathalie Dessay, soubrette fabuleuse d'aisance, Susan Graham, présence remarquable, voix rayonnante au timbre de braise, quoique Ruggiero peu... masculin, tempérament que sait mieux transmettre Kathleen Kuhlmann, Bradamante/Ricciardo aux graves profonds.

Trois mois après ce spectacle de clôture de la saison 1998-1999, William Christie et ses Arts florissants ouvraient la saison 1999-2000 de l'Opéra de Paris avec une production inédite des Indes galantes de Rameau. Créée en 1735 à l'Académie royale de musique de Paris, cette œuvre appartient à un genre de pur divertissement, l'opéra-ballet hérité de Lully, qui fait passer l'intrigue à l'arrière-plan au profit des plaisirs de l'œil et de l'oreille. Quarante-sept ans après leur somptueuse et triomphale résurrection à Garnier dans une mise en scène de Maurice Lehmann, les Indes galantes retrouvent le théâtre qui les consacra. Mais, cette fois, progrès de la musicologie aidant, place aux spécialistes du culte baroque. Côté mise en scène, Andrei Serban, malgré une débauche de gadgets, signe un spectacle décevant, le prologue semblant interminable, d'autant plus que Nathalie Dessay est peu à l'aise avec la tessiture d'Hébé. Malgré d'éblouissants moments comme l'irruption volcanique de l'épisode des Incas du Pérou ou les danses des Indiens d'Amérique de la dernière entrée, la production de Serban ne peut convaincre. William Christie a sans doute sa part de responsabilité dans ce désappointement, en raison de raideurs stylistiques, de tempos uniformes, d'une justesse relative des instruments à vent, par ailleurs étouffés par des cordes aigres. Mais les amateurs de timbres foisonnants, d'articulation impeccable et de délices vocales ont trouvé leur content avec Yann Beuron, Laurent Naouri, Gaëlle Méchaly, Heidi Grant Murphy, mais aussi avec Nathalie Dessay, qui, dans le tableau final, campe une inénarrable Zima.

Quatre mois plus tôt, Marc Minkowski dirigeait dans la même salle le ballet-bouffe Platée, du même Rameau, comédie lyrique comme seules les fêtes versaillaises de la monarchie absolue savaient en offrir. Cette comédie lyrique en un prologue et trois actes, dans la mouvance des Fables de La Fontaine, fut écrite en 1745 pour le mariage du Dauphin et de l'Infante d'Espagne, que le livret semble railler, présentant à une jeune mariée peu gâtée par la nature une vieille grenouille jouée par un homme. Le mise en scène de Laurent Pelly mêle geste délicate et farce grivoise. La danse prend largement le pas sur le chant, et la musique de Rameau, certes vive et dynamique, manque de contrastes et de nuances. Reste une distribution de tout premier plan, menée avec délicatesse par la touchante Platée incarnée un Jean-Paul Fouché-court pétillant d'intelligence. Annick Massis, voix pleine et solide, surcharge le trait dans le rôle de la Folie, mais l'ensemble des protagonistes prennent un plaisir contagieux à cette farce sous la joyeuse impulsion de Minkowski à la tête de son ensemble grenoblois.

C'est avec deux opéras de Gluck, Orphée et Eurydice et Alceste, donnés en alternance, que le théâtre du Châtelet a ouvert ses portes après treize mois de travaux. Ces deux ouvrages exécutés sur instruments anciens dirigés par sir John Eliot Gardiner dans leur version française, le premier dans la révision de Berlioz, le second dans sa version de 1776, étaient proposés dans des productions au grand chic formant diptyque. Pour son arrivée à la direction de ce théâtre, Jean-Pierre Brossmann retrouvait son complice Gardiner, avec qui il créa l'Orchestre de l'Opéra de Lyon, dont la première prestation fut une autre page de Gluck, Iphigénie en Tauride. Pour sa première production parisienne, Brossmann souhaitait confronter la quête d'authentique chère à Gardiner et la sévérité minimaliste de Robert Wilson, le tout au cœur d'un même dispositif scénique. Orphée et Eurydice devient une parabole se développant dans un décor unique agrémenté de deux cyprès, d'un rocher et d'une évocation finale stylisée d'un salon xviiie, alors qu'Alceste apparaît d'une totale abstraction. Wilson fait une fois encore du Wilson. Mais l'ensemble a de l'allure, à condition de négliger cette trop fameuse gestique néo-japonaise ponctuée de violents soubresauts hystériques qui font la griffe Wilson. L'expressivité qui fait la force de la musique de Gluck est plus prégnante ici dans Alceste que dans Orphée, où les trois cantatrices restent à l'extérieur du sujet, comme figées par la vision de Wilson. Orphée a servi d'écrin aux débuts parisiens de Magdalena Kozena, voix solide manquant encore de chair et de coffre, mais formant un couple charmant avec la rayonnante Madeleine Bender, sous le regard chaleureux et protecteur de l'Amour, incarné par Patricia Petibon. Dans Alceste, Anne Sofie von Otter a su assimiler les gestes hiératiques imposés par Robert Wilson, mais sa voix reste étonnamment neutre. Face à elle, une distribution masculine de tout premier plan.

Diversité

Autre compositeur de référence fêté en 1999, Maurice Ravel, à qui la ville de Lyon a dédié une large part de sa saison. Toutes ses institutions musicales se sont en effet associées pour une intégrale de l'œuvre du compositeur français, et c'est naturellement à l'Opéra qu'est revenu le soin de monter ses deux partitions lyriques : l'Heure espagnole et l'Enfant et les sortilèges. Deux ouvrages rarement réunis en un même spectacle. La production des Belges Philippe Sireuil, pour la mise en scène, et Vincent Lemaire, pour les décors, place les deux ouvrages dans le gigantisme, les personnages de l'Heure espagnole se mouvant telles des fourmis à l'intérieur d'une pendule, alors que l'Enfant et les sortilèges est vu à travers le regard d'un garçonnet. Cette unité de conception est une bonne idée, mais le spectacle suscite un sentiment d'inachevé. Bien chanté, bénéficiant d'une distribution homogène dans laquelle s'imposent Marie-Thérèse Keller, Léonard Pezzino, Jean-Marie Frémeau et Philippe Georges dans l'Heure, et la jeune Marie-Belle Sandis dans l'Enfant, cette production pêche en son premier volet par une direction étonnamment terne de Louis Langrée, plus inspiré par l'Enfant et les sortilèges.