L'année de la musique

Dans la perspective des festivités de l'année 2000, placée sous le sceau du deux-cent-cinquantième anniversaire de la mort de Jean-Sébastien Bach, « père de la musique », 1999 a été un millésime de transition, à l'image de cette fin de siècle, les institutions musicales ouvrant leurs répertoires à toutes les époques, à tous les styles, voire à tous les genres, n'osant plus tirer le bon grain de l'ivraie, tout désormais ayant la même valeur et la même portée. Plus d'appréhension visionnaire, donc, dans le monde musical, ou si peu, puisque spéculation et innovation sont systématiquement récusées. Dans ce contexte, 1999 aura été témoin du retour en grâce de Francis Poulenc à l'occasion du centenaire de sa naissance. Longtemps jugé léger et sans goût, le compositeur français, qui a toujours été célébré à l'étranger, semble devoir retrouver les faveurs des musiciens et du public.

Année Poulenc oblige, Dialogues des carmélites a ouvert et conclu l'année lyrique française. Pour cet opéra, créé à la Scala de Milan en 1957, le compositeur a repris le texte de Georges Bernanos, lui-même adapté d'une nouvelle de Gertrud von Le Fort et d'un scénario du révérend père Bruckberger, tiré d'un fait réel s'étant déroulé sous la Révolution française. Début janvier, l'Opéra du Rhin confiait sa production à la comédienne Marthe Keller, qui découvrait à la fois l'œuvre et le métier de metteur en scène. Cette rencontre s'est révélée riche en promesses, Keller inspirant à sa troupe un jeu confondant de naturel. Déception cependant côté orchestral, la grâce, la transparence instrumentale voulues par Poulenc, qui souhaitait un texte constamment compréhensible, n'ont pas été préservées, l'orchestre s'avérant trop gras. Ce spectacle de qualité a été repris par la chaîne de télévision franco-allemande Arte ainsi qu'au Festival de Savonlinna, en Finlande, et aux Prom's de Londres.

Dialogues des carmélites n'avait pas connu de production nouvelle à l'Opéra de Paris depuis seize ans. La scénographie de Francesca Zambello se montre plus monumentale que celle de Keller, sentiment amplifié par un imposant décor dominé par un mur incurvé planté sur un plateau tournant, enserrant l'action tel un étau. Là où Keller proposait un drame humain, Zambello joue sur la globalité. Seuls grands moments de tragédie, les deux interventions de la première prieure, campée par une hallucinante Felicity Palmer.

Autre partition scénique de Poulenc, les Mamelles de Tirésias, que l'Opéra-Comique, qui créa l'œuvre en 1947, proposait dans la production donnée un mois plus tôt à l'Opéra de Rennes. Poulenc tira son livret de la pièce surréaliste éponyme de Guillaume Apollinaire. Dans l'exotique Zanzibar, Thérèse, insatisfaite de son rôle d'épouse et de mère, renonce à sa condition de femme. Les Mamelles de Tirésias étaient mises en regard de l'Heure espagnole de Ravel, comédie musicale au ton doux-amer et à l'humour égrillard. La mise en scène d'Olivier Bénézech ne donne qu'un pâle éclat à cette partition ; les chanteurs se montrent peu concernés et peu sûrs, à l'exception de Stephen Gadd. L'élan surréaliste, la joie frétillante des Mamelles conviennent davantage à l'imaginaire de Bénézech, et la troupe est ici plus à l'aise.

Créations

La neuvième édition du Festival de musique contemporaine de Radio France, Présences 99, avait pour figure centrale Pascal Dusapin, le compositeur français le plus célébré de sa génération. À quarante-trois ans, dans la plénitude de ses moyens, il est l'un des rares parmi ses pairs à vivre de sa seule création, enchaînant les partitions nouvelles sans difficulté apparente. Ce qui le conduit à collectionner les œuvres majeures. L'un des événements de Présences a été la création par le chœur Accentus et l'ensemble Ars Nova, dirigés par Laurence Equilbey, de son Dona eis. Bien que les effectifs instrumentaux de ce requiem soient réduits à 7 instruments à vent, le chœur mixte réunissant 33 voix, l'œuvre sonne dense et ample, le geste est généreux. Autre œuvre admirable révélée à Présences, le Concerto pour violon et orchestre de Bernard Cavanna donné en première audition mondiale par Noëmie Schindler, sa récipiendaire, et l'Orchestre philharmonique de Radio France. Cette partition concertante en deux parties est bouleversante de beauté et de profondeur.