Crise à Bruxelles

Mise en cause de l'absence de responsabilité de la hiérarchie de la Commission ; dénonciation du manque de sens éthique de ses membres ; critique de l'improvisation de la politique conduite par son président ! La crise ouverte par le rapport du Comité des sages et par la démission de la Commission Santer est la plus grave que l'Europe communautaire ait jamais traversée. Mais cette crise a une noble cause : l'affirmation de la démocratie européenne.

Le 15 mars, le Comité d'experts indépendants chargés d'enquêter sur les cas de « fraude, de mauvaise gestion ou de népotisme » au sein de la Commission européenne publie un rapport accablant pour celle-ci. Quelques heures plus tard, le Luxembourgeois Jacques Santer annonce la démission collective de la Commission qu'il présidait depuis janvier 1995.

Dysfonctionnement général...

L'affaire avait éclaté à la suite d'enquêtes conduites depuis quelques années sur des fraudes commises à l'occasion de divers programmes dont l'exécution, faute de personnel qualifié, était confiée à des sociétés privées sous contrat. Ces enquêtes avaient mis en lumière les abus auxquels donnait lieu ce système de « sous-marins ». La révélation du scandale aboutissait, le 14 janvier, au vote d'une motion de censure de la Commission déposée par le député européen Hervé Fabre-Aubrespy, membre du groupe de Philippe de Villiers. Sans parvenir à réunir la majorité des deux tiers nécessaire pour être adoptée, la motion totalisait toutefois 232 voix contre 293 et 27 abstentions. En revanche, le Parlement adoptait une résolution socialiste demandant la création d'un Comité d'experts indépendants chargé d'enquêter sur les irrégularités présumées. « Les autorités politiques ont perdu le contrôle sur l'administration qu'elles sont supposées gérer. Cette perte de contrôle implique [...] une lourde responsabilité aussi bien des commissaires pris séparément que de la Commission en tant que collège. » D'une sévérité sans appel, le rapport du Comité associe dans la même accusation le dysfonctionnement général de la Commission et les dérives individuelles de ses membres. Il stigmatise l'absence de réflexion de la Commission sur l'amélioration des modes d'organisation et de la gestion des moyens, notamment en personnel, face à l'augmentation de ses missions depuis le début des années 90 – c'est-à-dire sous la présidence de Jacques Delors.

« La haute hiérarchie, notamment, est restée davantage intéressée par les aspects politiques que par le travail de gestion », note le rapport, ajoutant : « Dans ces nouvelles priorités de gestionnaire, la Commission se devait d'opérer des choix entre les priorités, ce qu'elle a manqué de faire, préférant user des fonds communautaires (même illégalement) pour assurer l'adéquation entre les objectifs à mettre en œuvre et les moyens à mettre à disposition. »

Ainsi, faute de capacité d'anticipation, la Commission « a réagi au coup par coup, sans doctrine et sans vue d'ensemble », en recourant abusivement à des contrats de prestation de service qui « ont souvent été passés dans des conditions discutables ». Enfin, le rapport constate que « les mécanismes d'audit et de contrôle n'ont pas fonctionné efficacement ».

... et dérives individuelles

Concernant les accusations de favoritisme qui visaient certains commissaires, le rapport indique que ceux-ci « devraient s'abstenir de nommer des conjoints, des proches de leur famille ou des amis, même si certains disposent des qualifications appropriées, à des postes qui n'ont pas fait l'objet d'un concours externe ou d'une procédure d'appel d'offre ». Toutefois, seul le commissaire socialiste français Édith Cresson fait l'objet d'une accusation de favoritisme, relative à l'emploi comme « visiteur scientifique » de l'un de ses proches, René Berthelot, dentiste à Châtellerault, la ville dont elle était maire jusqu'en 1997.

Enfin, dans leur conclusion, les « sages » évoquent le problème central de toute leur étude : « La responsabilité des commissaires, ou de la Commission dans son ensemble, ne peut être une idée vague, une notion irréaliste dans la pratique. [...] Cette notion constitue la manifestation ultime de la démocratie. »