Ses découvertes, ce furent, entre autres, celles d'Éric Ruf, Docteur Jekyll lorsqu'il joue sur le plateau de la Comédie-Française et Mister Hyde quand il propose à Chaillot les Belles Endormies, qu'il a mises en scène avec le concours du Théâtre de Lorient, d'Éric Vigner ; ce fut, également, le Palermitain Carlo Cecchi qui, après une halte au Maillon de Strasbourg, a proposé à la Manufacture des Œillets, à Ivry, une trilogie Shakespeare composée d'Hamlet, de Mesure pour mesure et du Songe d'une nuit d'été sans décor, sans accessoires, sans effets, mais reposant uniquement sur les acteurs et le rythme de leur jeu.

Avignon sous le signe de la violence

De quoi faire pendant à l'autre festival emblématique de la vie théâtrale en France : le Festival d'Avignon. Plus populaire que jamais, il a connu, cette année, une augmentation de 15 % du nombre de ses spectateurs en « in » (soit 115 000 entrées), sans compter – puisque l'entrée était gratuite –, ceux de la compagnie de théâtre de rue Royal de Luxe, de retour d'Afrique avec de délicieux et moins innocents qu'il n'y paraissait Petits Contes nègres. Si la première place a été accordée à l'Amérique latine, invité d'honneur exotique, Shakespeare y aura été doublement célébré, avec un Henri IV fulgurant et chaotique d'une durée de dix heures proposé l'espace de plusieurs nuits par Yan-Joël Collin, précédé, dans la programmation, d'un Henri V mis en scène sur un ton joyeusement tragique par Jean-Louis Benoît avec Philippe Torreton dans le rôle-titre. Ce dernier ouvrait dans la cour d'honneur du palais des Papes un festival situé plus que jamais sous le signe du chaos de l'histoire et du présent. À la Chapelle des Célestins, ce furent les Chiliens de la Troppa et leur délicate adaptation pour acteurs et marionnettes du roman de deux enfants perdus dans la guerre et l'après-guerre de la Hongroise Agota Krystof. Dans la cour du lycée Saint-Joseph, ce fut le Voyage au bout de la nuit des Italiens de la Società Raffaello Sanzio, tonitruante mise en jeu et en théâtre de l'écriture même de Céline. À l'hospice Saint-Louis, Bruno Boeglin, accompagné de Calvo et Catherine Marnas, a raconté cinq cents ans de colonisation et de soubresauts de l'Amérique du Sud en trois spectacles de un quart d'heure à peine, mais cognant comme des coups de poing. Au Gymnase Aubanel se succédèrent les Belges du Groupov et le Français Olivier Py, directeur du CDN d'Orléans, pour dénoncer, entre agit-prop et témoignage, les massacres perpétrés sous le regard muet de l'Occident – les premiers en Afrique avec Rwanda, 1994, le second en Europe avec Requiem pour Srebrenica.

De fait, c'est une véritable litanie des misères et de l'horreur du monde qui s'est déclinée, avec, en point d'orgue, les trois productions chocs proposées à l'enseigne de la Baracke de l'Allemand Thomas Oestermeier – Homme pour homme de Brecht, Sous la ceinture de Richard Dresser, Shopping and Fucking de Marc Ravenhill.

Théâtre et commerce

Paradoxalement, premier théâtre de France du fait de sa troupe, de ses finances, de ses trois salles et de son prestige, la Comédie-Française s'est révélée à l'écart de tous ces mouvements. Dirigée par Jean-Pierre Miquel, elle a paru enfermée dans son rôle de « scène officielle, avec tout ce que cela induit de conformisme. Hormis la folie d'un Revizor de Gogol, mis en scène cette fois par Jean-Louis Benoît, et de trop rares audaces, comme l'École des femmes de Molière « déclassiquée » par Éric Vigner, elle s'en est tenue à un sage consensus. Le dernier auteur qu'elle a fait entrer à son répertoire à la veille de l'an 2000 date du xixe siècle – Bernard Shaw. Et l'œuvre choisie n'était pas la plus scandaleuse : la Maison des cœurs brisés.

D'une certaine manière, la Maison de Molière aura fait le trait d'union entre le théâtre d'art et le théâtre commercial, promu par les théâtres privés. Ce dernier fut, jadis, le fleuron de la scène française, révélant tour à tour Sartre, Camus, Ionesco, Beckett, etc. Devant les programmes affichés en 1999, on ne peut que constater que ses ambitions ont changé, à quelques exceptions près – comme le Théâtre de l'Atelier proposant la Controverse de Valladolid de Jean-Claude Carrière dans une mise en scène rigoureuse de Jacques Lassalle, ou les Poèmes à Lou dits par Jean-Louis et Marie Trintignant, avant d'abriter Trahisons de Pinter, avec Marianne Basler.