Salt Lake City peut souffler. Un temps menacés d'être privés de leurs Jeux pour tentative de corruption, les dirigeants de la ville américaine apprennent avec soulagement que la plupart des candidatures sont entachées d'irrégularité. Sydney 2000 avait ainsi versé 70 000 dollars à deux membres africains à la veille du scrutin. Athènes, battue pour l'édition de 1996, avait en vain offert pour 6 000 dollars de bijoux à la femme de l'Australien Phil Coles. Ce même Phil Coles qui aurait rédigé, pour les responsables de la candidature de Sydney, un rapport sur les goûts et les desiderata de ses confrères du CIO. Coles, de même que Kim Un Yong, ex-dauphin désigné de Samaranch, Anton Geesing (champion olympique de judo en 1964 et représentant néerlandais), Vitaly Smirnov, influent membre russe, ainsi qu'une douzaine d'autres délégués ne sont punis que de blâmes tandis que les enquêtes sur leurs cas s'enlisent.

Au lendemain de ces exclusions sacrificielles qui ne satisfont personne, le congrès adopte une première mesure d'importance en réformant le mode d'élection des villes candidates. Une résolution interdit aux membres de les visiter, supprimant ainsi les occasions de profiter de cadeaux trop généreux, et institue un collège électoral de 16 personnes, chargé de désigner deux finalistes parmi les impétrantes. Le choix final étant toujours laissé à l'ensemble du CIO.

Quelque temps plus tard, le Comité annonce une réduction ostensible du train de vie de ses sujets lors des deux éditions olympiques à venir. Le budget qui leur sera dévolu à Salt Lake City passe ainsi de 3,5 à 2,5 millions de dollars. Quel sacrifice !

Convaincu que la crédibilité de son mouvement repose désormais sur la caution d'autorités morales, Samaranch fait appel à toutes ses relations pour venir siéger dans deux nouvelles commissions de contrôle : Henry Kissinger, Robert Badinter, Javier Perez de Cuellar, Howard Baker (président de la commission d'enquête sur le Watergate) mais aussi Josef Blatter (président de la Fédération internationale de football), Giovanni Agnelli (patron de Fiat et... défenseur acharné de la candidature de Turin 2006 !) sont, parmi d'autres, invités à former le comité d'éthique et la commission CIO 2000 chargés de faire le ménage dans l'entreprise olympique. Cependant, alors que beaucoup d'observateurs attendaient, comme un signe de renouveau, la désignation de la modeste Sion comme ville hôte des Jeux d'hiver 2006, c'est Turin qui est élue en juillet. On ne se refait pas en quelques mois.

Un renouvellement par coopération

Car c'est à un chantier titanesque que s'attaquent les stars de la politique des décennies passées. Leur mission de refonte concerne en effet des sujets aussi épineux que le mode de désignation des membres du Comité olympique, la durée des mandats, l'âge de la retraite, les prérogatives de l'institution en matière de réglementation sportive et, surtout, le mode d'élection des villes organisatrices. Sur tous ces thèmes, les méthodes du CIO sont plus proches du népotisme dictatorial que de la transparence démocratique.

Membre du Comité international olympique depuis 1966, élu président en 1980, l'ex-président de la Fédération internationale de hockey sur patin à roulettes, également ancien ambassadeur de l'Espagne de Franco à Moscou, Juan Antonio Samaranch, n'a jamais pensé à bousculer des institutions qui lui ont donné toute satisfaction. À peine a-t-il fait voter, en 1995, une élévation de l'âge de la retraite de soixante-quinze à quatre-vingts ans, afin de pouvoir conserver son poste jusqu'en 2001.

Le Catalan n'est pas un réformateur. Loin s'en faut. Depuis l'origine, le CIO se renouvelle par cooptation et comprend un dixième de membres à vie. C'est ainsi que siègent notamment dans la vénérable maison un colonel argentin impliqué dans la dictature ou un proche du despote indonésien Suharto.

« Main basse sur les jeux Olympiques »

Dès qu'ils sont atteints par l'âge limite, les délégués « mortels » deviennent membres honoraires, privés du droit de vote. Sur les quelque 112 représentants, moins de dix sont des femmes. À l'image de Jean-Claude Ganga et d'autres délégués issus de nations en développement, certains membres n'ont plus aucun mandat, fonction ou emploi dans leurs pays. Ils ne vivent que par le CIO et le petit pouvoir qu'il s'y sont octroyé. Ce qui peut s'avérer une véritable rente. Car l'institution olympique a considérablement élevé son standing et son pouvoir en deux décennies. Quasiment ruinés, financièrement et en termes d'image, par les boycotts successifs des années 70 et 80, les jeux Olympiques ont rebondi à partir de l'édition de 1984 à Los Angeles, sauvés par la générosité des sponsors. Les principaux – une petite dizaine parmi lesquels Coca-Cola, Visa, Xerox – versent chacun 250 millions de francs par olympiade (l'espace de quatre années qui sépare deux JO) et le marketing olympique rapporte environ 15 milliards dans le même laps de temps. Désormais, tout est à vendre. Malheur à celui qui ose, par exemple, utiliser les symboliques anneaux multicolores sans en avoir payé des droits au CIO. Les droits de retransmission télévisée, quasiment inexistants avant 1976, se chiffrent désormais à plus d'un milliard de francs. Selon les prévisions, les Jeux de Sydney dégageront 2,3 milliards de dollars de recette. Son Éminence, Juan Antonio Samaranch, est donc parvenue à faire de son assemblée de notables une entreprise surpuissante et prospère. Il s'en vanta même lors du discours préparatoire à son plébiscite.