Journal de l'année Édition 1998 1998Éd. 1998

Jacques Foccart, le maître des réseaux africains de la France depuis le général de Gaulle, est mort deux mois plus tôt. Cette disparition symbolise la fin d'une époque.

Conséquence du passage de l'armée de métier, Paris réduit sa présence militaire sur le continent noir. Jacques Chirac déclare que la France renonce désormais aux « interventions unilatérales ». En août, il refuse d'envoyer des troupes pour séparer les milices qui se disputent Brazzaville à coups de mortier : les Ninjas de Pascal Lissouba, président démocratiquement élu, et les Cobras de Denis Sassou-Nguesso, l'ancien dictateur qui finit par l'emporter.

Lionel Jospin, le nouveau Premier ministre socialiste, confirme cette ligne. À l'issue d'une tournée qui le conduit, en décembre, au Maroc, au Sénégal et au Mali, il souligne que les anciennes colonies doivent accepter d'être traitées en États majeurs. De paternelles, les relations de la France avec ces pays vont devenir « fraternelles ».

Mais si le « néocolonialisme » est condamné, voici que le « colonialisme » retrouve des adeptes. Dans l'archipel des Comores, l'île d'Anjouan, qui avait voté pour l'indépendance il y a vingt-trois ans, réclame, en juillet, son rattachement à la France. La prospérité de l'île voisine de Mayotte, restée française, explique cette requête. Paris dit non.

La bousculade des idées reçues ne connaît pas de frontières. Reçu à Paris en octobre, le président tunisien, Ben Ali, vante les bienfaits du despotisme éclairé. Mobilisant les énergies pour accélérer le développement, cet autocrate affirme détenir le vaccin contre la contamination islamiste. Il doit y avoir du vrai : après avoir tant dénoncé les méthodes dictatoriales de Hassan II, les socialistes français font amende honorable. À Rabat, en, décembre, Lionel Jospin salue « l'approfondissement de la démocratie au Maroc ».

Le monde ne cesse de se réinventer. Hongkong, qui avait été britannique pendant cent cinquante-quatre ans, redevient chinoise le 1er juillet. Mais, pour savoir si l'ancienne colonie convertira la Chine à la démocratie ou si, au contraire, elle perdra ses atouts économiques sous l'influence communiste, il faudra attendre. Le gouvernement de Pékin n'a-t-il pas promis de maintenir le système capitaliste de Hongkong pendant cinquante ans ?

De nouvelles réalités s'enracinent. Plus personne ne doute de l'entrée en vigueur de la monnaie unique européenne. La décision d'Helmut Kohl, en avril, de briguer encore un mandat ne traduit pas seulement la volonté du chancelier de battre le record de longévité de Bismarck. Il veut rendre irréversible la construction de l'euro. Si l'Allemagne accepte de sacrifier le mark, les autres pays membres de l'Union ne pourront plus reculer.

Les nouvelles donnes

Même constat pour l'élargissement de l'Europe, dont le principe est fixé en décembre à Luxembourg. Avec l'arrivée des pays de l'ancien bloc socialiste, les Quinze achèveront d'effacer les dernières conséquences des totalitarismes nazi et communiste. L'Europe est réconciliée avec elle-même. Ce que confirme, aussi en décembre, l'ouverture de l'OTAN aux Polonais, aux Tchèques et aux Hongrois. Même la Russie approuve.

Bien sûr, ce nouveau monde en train d'émerger coexiste avec des horreurs immuables. Le 17 novembre, la tuerie de Louxor qui se solde par la mort d'une soixantaine de touristes étrangers, en est un rappel sanglant. De même pour la prise d'otages du Pérou. Occupée par les guérilleros du mouvement Tupac Amaru, l'ambassade du Japon à Lima sera délivrée par la force : en avril, et après cinq mois de siège.

L'Algérie continue aussi de saigner. La libération d'Abassi Madani, en juillet, n'arrête pas cette terrible hémorragie. Ni les élections municipales du 23 octobre qui, après un scrutin présidentiel et des législatives, complètent l'édifice institutionnel mis en place par l'armée.

Et puis les hommes passent. Deng Xiaoping meurt le 19 février : vingt ans après avoir engagé la Chine sur le chemin de la réforme. Le pouvoir politique est resté communiste mais l'économie obéit aux règles du marché. Jiang Zemin, le successeur, ne change pas de cap.

C'est surtout l'arrivée au pouvoir de Tony Blair qui frappe les imaginations. La victoire des travaillistes aux élections britanniques, le 1er mai, met un terme à quinze ans de règne tory et donne un coup de jeune à l'Angleterre.

Retour sur image : à Sarajevo, où avait été tiré le premier coup de feu des affrontements de 14-18, les membres de l'OTAN se sont entendus pour préserver le calme. Et, contrairement aux idéologies totalitaires du passé, la violence islamiste n'a pas déclenché d'incendie général. Aujourd'hui, il n'y a plus de conflits que limités. Le xxe siècle semble se terminer mieux qu'il n'a commencé.

Charles Lambroschini rédacteur en chef au Figaro